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7 février 2017 2 07 /02 /février /2017 09:41
La Philharmonie de Palestine – un orchestre est né à Bethléem
 

En janvier, la Philharmonie de Palestine, initiative musicale palestinienne majeure, a donné des concerts à Jérusalem et à Bethléem, ainsi qu’une journée entière de diverses activités culturelles.

Depuis des années, des efforts ont été mis en place pour faire sortir l’identité culturelle et la vie culturelle de Palestine de la paralysie de circulation, de la soumission et de l’occupation, avec des multitudes d’initiatives locales et l’installation de deux très importants conservatoires de musique : le Conservatoire National de Musique Edward Saïd (ESNCM) et Al-Kamandjati. La vie après le conservatoire demeure cependant le maillon faible pour les musiciens. Les opportunités professionnelles sont limitées, étouffant l’implication de la communauté et la grande tradition d’aller au concert – et provoquant la perte des talents de musiciens palestiniens qui doivent chercher ailleurs une vie professionnelle dans la musique.

Remédier à la perte de ce maillon dans le cycle de la vie musicale palestinienne c’est, en substance, le but de la Philharmonie.

Comme ses défenseurs le décrivent, le projet

« vise à créer une entité culturelle, comme une « Cité de la Musique », qui offrira toute une série d’activités et d’événements interculturels en lien avec la musique, ne fût-ce qu’en créant le premier orchestre professionnel permanent de Palestine. Cette entité et son orchestre seront installés au Palais de la Convention à Bethléem. La Philharmonie de Palestine se situe dans une grille d’institutions artistiques palestiniennes et leur offre un espace de production créative. Elle fournit un accès à la musique et à la culture à tous les publics. Avec, en son sein, un corps de musiciens professionnels et en hébergeant des artistes de grand renom, elle fait rayonner la musique et l’art dans tout le pays et au-delà. »

Le Palais de la Convention de Bethléem, situé à côté du site historique des piscines de Salomon, hébergera cette « Cité de la Culture et de la Civilisation ». Le Palais est un complexe moderne qui comprend plusieurs salles de conférence, une galerie d’exposition, un musée, des jardins, un théâtre et une salle de concert de 1.600 places (dont 400 en balcon). M’y étant produit à la fois dans de grands orchestres symphoniques et dans de petits ensembles de musique de chambre, et ayant écouté l’un et l’autre depuis le public, je suis impressionné par l’excellente acoustique de la salle ainsi que par son architecture intérieure qui permet une bonne visibilité de la scène pour tout le public. Les architectes du Palais ont cherché à intégrer la nature historique et archéologique de son environnement dans ce complexe formidablement fonctionnel, complexe similaire dans sa fonction -même si certainement pas dans son esthétique- au Centre Barbican de Londres. Le complexe renferme quatre-vingt-quatre espaces pour des galeries, des studios d’artistes et des boutiques entre le bâtiment principal et les piscines de Salomon, tous situés au milieu d’une série d’allées et d’escaliers inspirés par la vieille ville de Jérusalem. Ces espaces pourraient donc héberger galeries, studios d’artistes, boutiques, etc.

La violoniste renommée Amandine Beyer a été le point central du programme de janvier de la Philharmonie, ainsi que son mari, le joueur de viole de gambe Baldo Barciela. Bien que les intérêts de Mme. Beyer soient vastes et intègrent tout à fait l’époque moderne et les compositeurs vivants, elle et son mari sont des spécialistes de l’exécution de musique baroque. Elle est la directrice de Gli Incogniti (Les Inconnus) et sa vaste discographie, acclamée par la critique, comprend un superbe enregistrement des sonates et partitas de Bach pour violon solo – ‘saint Graal’ des violonistes – qui a reçu le prix du choix de la rédaction de Gramophone l’année dernière.

Le point fort de sa semaine en Palestine, c’était les quatre concertos du violoniste et compositeur italien Arcangelo Corelli (1653-1713). Ils sont écrits pour deux violons solos, plus un ensemble de violons, altos, violoncelles, viole de gambe, théorbe, guitare, kanoun, épinette et clavecin. Si Corelli n’était au mieux que peu familier des oud, kanoun e bouzouk, ces instruments se sont révélés néanmoins être tout à fait bien intégrés dans l’Italie baroque.

Chaque concerto présenta Mme. Beyer dans l’un des solos et un(e) jeune violoniste palestinien(ne) dans l’autre : Lourdina Baboun, Lamar Elias, Mahmoud Karzon et Gandhi Saad, Jude Amous, Suhail Canaan et Tibah Saad ont joué les solos de violoncelle.

Gandhi et Tibah sont les plus jeunes d’une fratrie de quatre qui jouaient dans un quatuor à cordes lorsqu’ils vivaient tous dans leur Galilée natale et qui étudient maintenant en Italie ; le cadet, Mostafa violoniste, a joué en solo avec le violoniste Nigel Kennedy sur la scène du Royal Albert Hall de Londres en 2013 et poursuit maintenant ses études en Russie. L’aîné Omar, alto, a passé un certain temps dans les prisons israéliennes pour avoir refusé de servir dans les FDI et il étudie maintenant en Italie. (Les Saad sont des Druzes.)

Amandine Beyer est un exemple des rares musiciens dont la connaissance musicologique de la période, la maîtrise technique de l’instrument et l’intégrité de la qualité artistique s’associent pour apporter un nouveau souffle même aux passages les plus simples. Pour la plupart des musiciens, ces expériences sont beaucoup trop rares. Je repense à des dizaines d’années en arrière, lorsque elle étudiait le quatuor de Ravel avec Félix Galimir, qui l’avait travaillé avec Ravel lui même ; ou quelques années plus tôt, lorsque elle étudiait avec Galimir la sonate de Brahms en ré mineur et la sonate de César Franck dont il avait étroitement absorbé les traditions. Et même avant, alors adolescente, elle s’était entraînée sur les quatuors de Beethoven avec trois membres du Quatuor de Budapest. Ce n’est pas être grandiloquent que de dire que de telles expériences font tout à fait franchement partie de ce que vous êtes.

Et ce fut le cas de la semaine avec Amandine Beyer. Je n’ai jamais été étroitement impliqué dans un concert de musique ancienne, bien que j’aie des amis dans ce domaine et, à part Mme. Beyer, seuls cinq de nos joueurs de cordes jouent de la musique ancienne professionnellement : les violonistes Camille Aubret et Mathieu Camilleri, l’altiste Mathilde Vittu, le gambiste Baldo Barciela et la violoncelliste Juliette Vittu. Nous joueurs ‘modernes’ avons gardé nos cordes filées plutôt que le simple boyau de l’époque de Corelli, utilisant nos propres instruments avec leurs manches légèrement plus longs, leurs barres de basses plus conséquentes, leurs mentonnières et autres modifications intervenues pendant trois siècles. C’était des compromis raisonnables ; l’important était que tout le monde utilise des archets baroques, plus courts et plus légers que les archets modernes, avec une courbure qui soit presque, ou carrément, convexe plutôt que concave.

Les démonstrations de Mme. Beyer sur l’expression et la technique de l’archet du début du dix-huitième siècle italien furent claires et érudites. Un art tellement avisé, plutôt que d’embaumer la musique dans quelque système mystérieux de ‘règles’ rétrospectivement appuyées, libère au contraire la musique des toiles d’araignée des siècles écoulés.

Notre premier concert eut lieu à Jérusalem. Nous ne savions pas, jusqu’à l’événement lui même, si tous les musiciens palestiniens pourraient circonvenir « l’annexion » auto-proclamée de Jérusalem Est par Israël et rejoindre le concert. Contrairement aux représentations passées, j’ai fait jouer cette fois-ci l’assistance diplomatique et tout a bien marché. La représentation a pris place à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, non loin de la Porte de Damas et assez près de la cathédrale St. Georges pour que Mordechai Vanunu, héroïque lanceur d’alerte du programme nucléaire d’Israël, qui vit dans la cathédrale et est confiné dans cette zone, puisse y assister. J’ai rencontré M. Vanunu pour la première fois quand il est venu à un exposé littéraire que j’avais tenu tout près ; après le concert, il m’a fait remarquer que c’était la musique classique, et particulièrement l’opéra, qui l’avaient sauvé tout au long de ses années d’isolement dans les geôles israéliennes. [1]

Si le monde avait continué à ignorer le programme nucléaire d’Israël, Mr. Vanunu aurait pu assister le lendemain à notre programme à Bethléem. Mais Israël lui interdit d’aller à Bethléem toute proche, et l’a en fait déjà arrêté pour avoir essayé. Ce qu’il a raté dans la ville de la naissance du Christ, ce fut une fête à multiples facettes, dont une reprise du concert de Jérusalem ne représenta qu’une partie. Mathilde Vittu, altiste et professeure d’analyse musicale au Conservatoire de Paris, a mené un atelier choral ; et les visiteurs furent éblouis par une équipe de dresseurs et d’artistes de l’Ecole Palestinienne du Cirque, organisation installée à Birzeit qui recherche « une Palestine libre [avec] une vie culturelle et artistique qui comporterait créativité, liberté d’expression et diversité comme principaux piliers d’une société juste et solidaire ».

La journaliste Amira Hass avait espéré assister toute la journée aux activités, à, commencer par une répétition publique à 13 heures, mais une succession d’événements impliquant la violence militaire israélienne contre les Palestiniens était devenue prioritaire. A la fin, elle a décrit cette journée dans un article intitulé « Interlude Musical ou les Horreurs de l’Occupation ? Un Dilemme pour une Journaliste Israélienne ».

Tandis que les événements de cette journée se déroulaient, Mme. Beyer, M. Barciela et quelques uns d’entre nous autres musiciens nous sommes rendus disponibles pour une séance impromptue sur scène « rencontrer les artistes ». Deux jeunes étudiants altistes d’Hébron sont arrivés avec leurs instruments, sans trop savoir à quoi s’attendre ; Ils eurent droit à un entraînement pratique sur les archets baroques et la tenue de l’archet.

La technologie audio et cinéma faisaient aussi partie des projets permanents de la Philharmonie. La réalisatrice française Anne Renardet a dirigé une équipe de quatre étudiants, deux du département Cinéma du Collège universitaire Dar Al-Kalima (Bethléem) et deux du département d’ingénierie du son du Conservatoire de Paris.

Une projection du nouveau film de Renardet, C’est Plus que de la Musique, faisait partie des événements de la Philharmonie au Palais de la Culture. Le film raconte la tournée de 2015 en France de l’Orchestre des Jeunes de Palestine, ensemble étudiant qui est le porte-drapeau de l’ESNCM. Plusieurs musiciens de l’orchestre faisaient partie de l’ensemble et des solistes dirigés par Mme Beyer. C’est Plus que de la Musique traite inévitablement des questions de la vie et de l’identité sous occupation militaire, des musiciens palestiniens empêchés par Israël de retourner chez eux parce que Palestiniens, et de la responsabilité personnelle des jeunes musiciens à représenter la Palestine devant l’Occident conditionné par la hasbara (propagande israélienne).

Des voix d’enfants se sont jointes à l’ensemble instrumental pour clore le concert de Bethléem. Cinq chansons furent chantées par le Chœur Amwaj, chœur d’enfants conçu et dirigé par Mathilde Vittu. Pour les deux derniers chants, Amwaj fut rejoint par trois autres organisations : l’école St. Joseph, l’Ecole des Frères, et Sons de Palestine, organisation dirigée par Fabienne van Eck et principalement composée d’enfants du Camp de Réfugiés d’Aïda.

La tête pensante derrière la Philharmonie est le violoniste Michele Cantoni. Cantoni traite infailliblement la Philharmonie, non pas comme ‘son’ projet, mais comme un effort conjoint avec le Palais de la Convention, sous l’architecte et directeur général George Bassous, et avec d’autres organisations partenaires. La Philharmonie est néanmoins née dans le cerveau de Cantoni, et c’est grâce à la persévérance, l’ingéniosité et la compétence de Cantoni et de Mathilde Vittu qu’elle est devenue une réalité. En conformité avec le but du projet de compléter et être utile, non pas de concurrencer, les institutions existantes, seules de nouvelles sources de financement sont recherchées.

Les institutions impliquées dans les discussions passées ou présentes au sujet de la Philharmonie avec Cantoni et Bassous comprennent Al-Kamandjati, l’Académie de Musique de Bethléem, les Dominicains de Haute Alsace, l’ESNCM, le Festival d’Aix-en-Provence, la Fondation Jean-Paul II, le Choeur Philharmonique d’Oslo et la Philharmonie de Paris. L’Institut Français a aidé à faire de cette semaine avec Mme Beyer une réalité.

Pour la journée de relâche du projet, plusieurs d’entre les musiciens internationaux et l’équipe du film décidèrent de visiter Hébron. Quand nous arrivâmes au checkpoint vers la mosquée d’Abraham, nous avons vu une Palestinienne harcelée par les soldats israéliens. Lorsque j’ai, le premier de notre groupe de huit, rejoint le même soldat, il m’a simplement demandé combien nous étions et nous a fait passer – nous n’étions pas des Palestiniens. Seul le matériel de l’équipe du film a provoqué quelque inquiétude, que nous avons apaisée en montrant l’étui du violon de Mme. Beyer. Nous sommes des musiciens qui filment de la musique, avons nous expliqué, pas des reporters. Le quartier colonisé, autrefois centre affairé de la vie d’Hébron, avait son habituel aspect désolé, apparaissant, comme le dit Mme. Beyer, comme si une peste ou une autre calamité en avait fait une ville fantôme.

La Philharmonie cherche à faire de la Palestine un centre des arts en dépit des réalités politiques toujours présentes aujourd’hui. Des projets comme celui-ci sont eux-mêmes de puissantes formes de résistance ; et lorsque le soi-disant « conflit » arrivera enfin à son terme, la Palestine sera déjà en position de devenir une destination artistique internationale.

 

http://www.aurdip.fr/la-philharmonie-de-palestine-un.html

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commentaires

L
C'est un beau projet que de vouloir faire vivre la culture Palestinienne par delà les conflits politiques, mais c'est aussi extrêmement complexe. En tout cas je salue le travail que vous fournissez.
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