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2 juillet 2017 7 02 /07 /juillet /2017 06:02
Le coup politique de Macron sur la Syrie
 
 
 
 
 
 
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En assumant un « aggiornamento » sur la politique française en Syrie, le nouveau président a en grande partie verbalisé ce que les gouvernements précédents avaient fini par admettre : le départ de Bachar al-Assad n'était plus leur priorité. Mais Macron va plus loin, en reprenant les principaux arguments des soutiens du régime, notamment russes.

            
Dans les mots, le revirement est spectaculaire. Dans les faits, sa portée est plus discutable. En assumant un « aggiornamento » de la politique française en Syrie, Emmanuel Macron a abandonné les engagements pris par Paris depuis 2011 : le départ de Bachar al-Assad, qui « n’est pas notre ennemi », n’est plus un objectif pour le nouveau président de la République, tout à sa volonté de remettre la France au cœur du jeu diplomatique mondial et de renouer le dialogue avec la Russie de Vladimir Poutine.

À bien des égards, il ne fait que valider une réorientation souterraine de la politique française depuis les attentats de novembre 2015. Mais en s’alignant sur la rhétorique de Moscou, Macron va encore plus loin et prend le risque de perdre toute crédibilité sur la défense des droits de l’homme et le soutien aux sociétés civiles.

Selon plusieurs sources interrogées par Mediapart, il a d’ailleurs totalement pris de court les diplomates et les spécialistes français du dossier syrien, qui n’ont pas été consultés en amont. Seul le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui défendait, à la Défense, un discours similaire, et qui était à Moscou la semaine dernière, semblait être dans la confidence.

C’est un entretien publié jeudi 22 juin par huit journaux européens, dont Le Figaro, qui a déclenché la polémique. « Le vrai aggiornamento que j'ai fait sur ce sujet, c'est que je n'ai pas énoncé que la destitution de Bachar al-Assad était un préalable à tout », explique Macron. Pendant la campagne, il avait pourtant juré à plusieurs reprises que le président syrien, responsable du massacre de son peuple, devait quitter le pouvoir pour assurer une transition politique durable. Il l’a encore dit en recevant les principaux représentants de l’opposition syrienne au lendemain de la visite de Vladimir Poutine à Versailles.

Mais l’ancien conseiller de François Hollande s’était toujours montré plus prudent que les exécutifs précédents : lors d’une visite à Beyrouth en janvier, le candidat d’En Marche! avait déjà estimé que « l'erreur qui a été faite, de droite ou de gauche, a été à un moment de faire du départ de Bachar al-Assad un préalable à tout ». « La France n'est pas là pour décerner des bons points et des mauvais points à qui que ce soit, elle est là pour construire la paix, c'est bien plus compliqué », avait-il insisté.

Le gouvernement français lui-même avait déjà entamé une réorientation de son discours sur la Syrie : juste après les attentats de Paris et de Saint-Denis le 13 novembre 2015, François Hollande avait tenté de se rapprocher (en vain) de la Russie et avait indiqué que le principal ennemi de la France était l’État islamique (EI, ou Daech), et non le régime syrien. C’est aussi à cette époque que le président avait décidé de participer aux frappes de la coalition emmenée par les États-Unis en Syrie – jusque-là, la France n’opérait qu’en Irak et refusait de bombarder les positions de l’EI en Syrie pour ne pas renforcer le régime.

En janvier 2017, le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault avait aussi déclaré : « Si certains veulent à tout prix qu'on place le débat sur: “Est-ce que l'on garde Assad ou est-ce que l'on ne garde pas Assad”, ce n'est pas comme cela que la question se pose. » Selon un témoin, son cabinet avait déjà indiqué à son arrivée au Quai d’Orsay, un an plus tôt : « On va arrêter de parler de Bachar al-Assad. »

De ce point de vue, Emmanuel Macron, élu président, ne fait que tirer les enseignements des errements passés de la diplomatie française qui s’est elle-même condamnée à l’impuissance : elle proclamait nécessaire le départ de Bachar al-Assad mais s’avérait incapable de l’obtenir. Au fil des années, et singulièrement depuis l’intervention militaire russe, la France, jugée peu crédible par toutes les parties prenantes, s’est trouvée totalement marginalisée, voire isolée, sur le dossier syrien (lire notre analyse).

« La diplomatie française ne s’est pas trompée sur le diagnostic, mais il est vrai qu’elle n’a pas trouvé les leviers lui permettant d’avoir un impact à la hauteur des enjeux », estime l’ancien ambassadeur de France en Syrie, Michel Duclos, dans une note très détaillée que vient de publier l’Institut Montaigne. « Comment faire du départ d’Assad une pré-condition alors qu’il n’y a même pas de négociation réelle à Genève ? », relève aussi une source diplomatique.

Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron, qui rêve comme tous les présidents avant lui de redorer l’image de la France, tente donc de rééquilibrer la position française pour lui rendre sa crédibilité et retrouver une place à la table des “grands” dont l’avis compte pour l’avenir du Proche- et du Moyen-Orient. Cette envie était palpable lors de son déplacement à l’Otan fin mai et de sa rencontre avec le président américain Donald Trump. Lors d’un débriefing avec la presse, l’Élysée avait exprimé son enthousiasme, y compris sur « la volonté des Américains d’échanger avec nous » sur le dossier syrien. « Il faut assez rapidement, en lien avec l’Onu et les pays les plus engagés dans la région, trouver un format de dialogue pour amorcer et accompagner une forme de transition diplomatique et politique inclusive », avait précisé l’équipe de Macron.

Le nouveau président a également répété à plusieurs reprises qu’il voulait combattre les tentations néoconservatrices qui ont agité la diplomatie française à intervalles réguliers, et manifeste le plus grand scepticisme à l’égard du « regime change ». « Avec moi, ce sera la fin d'une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans, explique-t-il dans cet entretien à la presse européenne. La démocratie ne se fait pas depuis l'extérieur à l'insu des peuples. La France n'a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fut le résultat de ces interventions ? Des États faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes. Je ne veux pas de cela en Syrie. » Des propos qu’il avait déjà tenus, presque mot pour mot, sur le plateau de Mediapart deux jours avant le second tour.

Parallèlement, il a rappelé sa volonté d’intervenir militairement à l’aune de « lignes rouges » – une référence aux propos de Barack Obama sur les armes chimiques. « J'ai deux lignes rouges, les armes chimiques et l'accès humanitaire, a redit Macron. Je l'ai dit très clairement à Vladimir Poutine, je serai intraitable sur ces sujets. Et donc l'utilisation d'armes chimiques donnera lieu à des répliques, y compris de la France seule. La France sera d'ailleurs à cet égard parfaitement alignée avec les États-Unis. » Donald Trump a lui-même décidé de frappes unilatérales après l’attaque chimique de Khan Cheikhoun, en avril dernier.

Macron et ses soutiens, à l’image de l’ambassadeur de France aux États-Unis Gérard Araud, assument donc un discours qu’ils jugent « réaliste », conforme à la réalité du terrain, et qui s’inspire des propos tenus ces dernières années par l’ancien ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, dont le nouveau président se dit proche, ou de Hubert Védrine.

« Ce n’est pas mal joué, estime aussi une source militaire. Sur le terrain, les ordres n’ont absolument pas changé. Mais cela évite d’être marginalisé. Si on reste sur une position de principe, on sera tout seul, et on ne comptera pas dans la solution. » Le revirement de Macron, qui n’est « que du verbal », selon cette même source, permet aussi « d’ôter un argument aux Russes » et de « parler aux Iraniens », alors que l’Iran attire les convoitises des grandes entreprises depuis l’accord sur le nucléaire.

 
 

Macron reprend les principaux arguments des soutiens du régime

Mais dans ses dernières déclarations, Emmanuel Macron ne s’arrête pas là : lui qui est si attentif à son expression et aux termes qu’il emploie reprend, pour justifier son « aggiornamento », les principaux arguments défendus depuis des années par le régime syrien et ses alliés. Il prétend ainsi que le départ de Bachar al-Assad ne doit pas être un « préalable », non pas parce que les Russes et les Iraniens ne veulent pas en entendre parler en l’état, mais « car personne ne m’a présenté son successeur légitime ». Il promeut aussi « la stabilité de la Syrie », « car je ne veux pas d’un État failli », dit-il, reprenant ainsi l’une des obsessions russes. Des propos qui ont évidemment ravi la propagande de Damas, ou certains soutiens zélés du régime comme l’ancien député LR Thierry Mariani ou l’ancien président du Front national de la Jeunesse (FNJ) Julien Rochedy, et qui ont écœuré l’opposition syrienne.

Mais comment Emmanuel Macron peut-il prétendre qu’aucune transition politique n’est possible ? Et comment peut-il affirmer que la Syrie n’est pas déjà un « État failli », alors que le régime ne tient que grâce au soutien de puissances étrangères, la Russie et l’Iran, et que le conflit a fait plus de 300 000 morts et des millions de réfugiés ? Comment peut-il omettre publiquement la responsabilité du clan au pouvoir dans la prospérité du djihadisme de l’EI ?

« C'est du mépris affiché vis-à-vis de tout un peuple et une approche qui dessaisit la France des valeurs universelles et du droit international qu'elle prétend souvent défendre, rétorque le chercheur Ziad Majed, spécialiste de la Syrie. Pire encore, ce message sera interprété par le dictateur syrien comme un permis de tuer, comme une totale immunité. » Il rappelle également que « plus Assad reste au pouvoir, plus Daech, Al-Nosra, ou d'autres qui leur succéderaient, augmenteront leur capacité de recrutement ». Avant d’ajouter : « Macron promettait de jouer un rôle de leadership politique et éthique au niveau européen et international. Cette déclaration l'a d'emblée décrédibilisé aux yeux d'une grande partie de ceux qui y croyaient. »

« La Syrie est un État failli depuis très longtemps, depuis bien avant le déclenchement de la révolution, dénonce Salam Kawakibi, chercheur en sciences politiques et directeur adjoint de l’Arab Reform Initiative établi à Paris. Ici, il n’y a pas d’État, mais un régime dictatorial qui s’est approprié du pouvoir et des ressources. Tout cela, c’est le b.a.-ba de la situation. »

« Sur le plan analytique, cela ne fait aucun doute : lorsque l’on connaît la véritable nature de ce régime, il n’est pas possible de croire en sa capacité de s’amender ou de le considérer comme un partenaire, tant sa connivence avec le terrorisme est profonde, et sa duplicité insondable, analyse également l’ancien ambassadeur Michel Duclos, qui juge dans le même temps que « sur le plan de la tactique diplomatique, l’insistance mise sur l’exigence du départ d’Assad s’est révélée contre-productive ». Mais à ses yeux, « aucune stabilisation réelle ne peut intervenir sans une éviction de Bachar al-Assad et de ses principaux associés ».

Ces constats sont largement partagés par les diplomates français et par les principaux spécialistes de la Syrie et de l’EI. Certains d’entre eux craignent une politique à courte vue, qui conduirait à soutenir, partout, et sans conditions, tous les régimes dictatoriaux au prétexte de la « stabilité » et de la lutte antiterroriste. Une doctrine ancienne, qui avait vacillé sous l’effet des printemps arabes, mais qui est revenue en force avec l’expansion de Daech. C’est le sens du soutien indéfectible de la France au régime égyptien, ou même de la récente visite d’Emmanuel Macron au Maroc. Mais cette doctrine omet, à chaque fois, de rappeler que ce sont aussi ces régimes qui ont, par tactique, ou par leur violence, ou les deux, largement alimenté les réseaux djihadistes.

Les partisans de la nouvelle ligne Macron, eux, font le pari que ses propos, même excessifs, permettront de renouer le dialogue avec Poutine, et in fine à la France de participer à une solution politique, qui contribuera à « anéantir » Daech et à stabiliser la région. Mais si ce pari échoue, les mots, eux, resteront. Comme une tache sur un quinquennat qui vient de commencer.

 

 
 
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