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15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 01:20
A Nabi Saleh, en Palestine, la « guerre de l’eau » reprend chaque vendredi

 

Depuis 2009, les habitants de Nabi Saleh protestent tous les vendredis contre le « vol » de leur source par des colons israéliens. Aidés par des militants internationaux de la cause palestinienne, ils continuent à lutter, malgré la répression militaire, pour récupérer une ressource vitale pour la survie du village.

 


Manifestants et militaires se font face. Oren Ziv, activestills.org

 

 

A Nabi Saleh, le vendredi, jour de repos chez les musulmans, est une journée agitée. 
Depuis le 9 décembre 2009,  ce petit village situé en Cisjordanie, à une trentaine de kilomètres au nord de Ramallah, entre en effervescence pour réclamer ses terres et son eau accaparées à 40 % par la colonie israélienne de Halamish, créée en 1977  et qui est illégale au regard du droit international. La rue principale, qui monte vers la mosquée, voit passer hommes, femmes et enfants habillés en rouge, noir et vert, les couleurs du drapeau palestinien.
En quelques années, Nabi Saleh est devenu l'un des principaux foyers de la contestation hebdomadaire organisés dans plusieurs villages des Territoires palestiniens contre l’extension des colonies, avec Bilin et Nilin.
A midi, lorsque le soleil  tape fort sur les maisons blanches de cette bourgade de 600 habitants, ceux qui sortent de la mosquée rejoignent une foule hétéroclite et déterminée. Parmi les villageois au teint cuivré, les quelques visages blancs sont ceux des militants internationaux, venus soutenir la cause de Nabi Saleh.

 

 

Sur la place principale du village, les habitants de Nabi Saleh se préparent pour la manifestation. Photo : Thomas Diego Badia.
A l’ombre des oliviers, sur la place du village, Mahmoud, mégaphone en main, énumère les revendications des manifestants : « Refus de l’occupation israélienne, droit au retour des réfugiés, libération des prisonniers politiques palestiniens ». L’un des instigateurs de la marche hebdomadaire contre « l’occupation israélienne », Bassem Tamimi, 46 ans, emprisonné une douzaine de fois, rappelle l’esprit de la manifestation : « Face à une occupation violente et illégale, nous avons décidé de prôner la non-violence, dans l’esprit de la première Intifada. »


Mahmoud en plein discours. Derrière, deux jeunes attachent leur keffieh. Photo : Thomas Diego Badia.
Le cortège, entouré des enfants du village, se met en branle et traverse le centre du village au son des chants « Libérez la Palestine, libérez Nabi Saleh ! ». Des habitants encouragent les manifestants en agitant des drapeaux. Le groupe se dirige sur les hauteurs. Du sommet de la colline, on aperçoit la colonie israélienne qui s’est « octroyé » en 2008 la source d’eau qui alimentait le village. « Depuis quatre ans, il est impossible d’y avoir accès. Elle est protégée jour et nuit par colons et soldats », soupire un habitant.

 

 

La manifestation commence, les chants s'élèvent dans la ville vide.

La manifestation commence, les chants s'élèvent dans la ville vide. Photo : Thomas Diego Badia.

 

Une partie des manifestants se dirige vers le puits. Les autres restent en observation. Rapidement, des jeeps israéliennes font barrage aux habitants du village en lançant des grenades lacrymogènes.  « Quand ils se sont mis en ligne, leurs armes de guerre au poignet, j’ai pensé qu’ils allaient nous tirer dessus à bout portant », se souvient un militant pro-palestinien québécois de 24 ans.

 

 

Une partie des soldats se positionnent face aux manifestants. La situation se tend. Une femme agite le drapeau palestinien sous le nez des militaires. Photo : Thomas Diego Badia.
Le face-à-face est tendu. Quelques femmes agitent leurs drapeaux sous le nez de la quinzaine de soldats, dont la majorité ne doit pas avoir beaucoup plus de 20 ans. Les invectives fusent et les militaires se crispent. Chacun revendique « sa » terre. La confrontation dure plus d’une heure.  Sur le chemin du retour, les manifestants apprennent que le reste du groupe, resté sur les hauteurs, s’est replié dans une maison après une attaque de militaires israéliens. Bilan : un blessé par une balle en caoutchouc. Une épaisse fumée lacrymogène se répand dans tout le village.
Au loin, un soldat israélien. Deux jeunes Palestiniens s’apprêtent à fuir dans le collines voisines.
Au loin, un soldat israélien. Deux jeunes Palestiniens s’apprêtent à fuir dans le collines voisines. Photo : Thomas Diego Badia.
A peine les manifestants se regroupent-ils que des soldats reviennent à la charge, accompagnés de deux camions à eau anti-émeutes qui déversent dans le village un liquide chimique nauséabond, la skunk, dont l’odeur persiste sur les bâtiments parfois plus de trois semaines. Des adolescents palestiniens, dissimulés derrière leurs keffiehs, leur lancent des pierres. Après quelques minutes d’affrontements, les jeunes s’enfuient dans les collines, poursuivis par quelques soldats. D’autres procèdent à des contrôles d’identité. Il n’y aura pas d’arrestation, pas cette fois.
Selon Nariman, une habitante du village qui tient un décompte précis depuis 2009 et le début des manifestations hebdomadaires, deux personnes ont été tuées, au moins 100 ont été emprisonnées, et 432 blessées (dont la moitié de mineurs). Ce bilan, établi en février 2013, n'a fait qu'augmenter jusqu'à aujourd'hui.
Une violence démesurée que pointe régulièrement l’ONG israélienne B’Tselem, qui se revendique comme « le centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés ». Celle-ci accuse les forces de Tsahal de ne pas respecter les droits des manifestants et publie de nombreux rapports dénonçant la répression à Nabi Saleh. « Nous croyons en notre résistance populaire et nous sommes prêts à en payer le prix », explique Bassem Tamimi, déterminé.
Dispersion d'une manifestation par les forces israéliennes. Crédit vidéo: Tamimi Press
La manifestation s’est plutôt bien passée, il n’y a aucun blessé grave à déplorer. « Parfois les militaires israéliens restent dans le village jusqu’à la tombée de la nuit », témoigne Bilal Tamimi, le « cameraman officiel » du village, qui filme toutes les manifestations « pour garder une preuve des exactions des Israéliens et de leur non-respect des droits de l’homme ».
Une heure plus tard, les militants internationaux quittent le village. Les habitants rentrent en famille, d’autres se retrouvent autour d’un thé et d’un narguilé.
Le calme est revenu à Nabi Saleh. Jusqu'au vendredi suivant.

Thomas Diego Badia (Monde Académie)


 


 

http://mondeacinter.blog.lemonde.fr/2013/11/08/a-nabi-saleh-en-palestine-la-guerre-de-leau-reprend-chaque-vendredi/

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