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20 mars 2013 3 20 /03 /mars /2013 00:40

Inquiétude

LE MONDE | 20.02.03

 

En 2003, au retour d'un séjour en Israël et dans les territoires occupés, Stéphane Hesselse dit "choqué et plein d'appréhension" par l'attitude de ce pays à l'égard des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza et de sa propre minorité arabe.

A 23 ans, je me suis battu contre la plus sanguinaire et la plus barbare des ethnocraties pour laquelle tout ce qui n'est pas germain ou "aryen" était méprisable et destructible.

 

A 27 ans, j'ai survécu miraculeusement aux camps de Buchenwald et de Dora, où la plupart de mes proches camarades ont péri. Cette survie m'a conféré la responsabilité de comprendre la violence et de la combattre au nom de la justice.

 

A 30 ans, j'ai travaillé auprès du secrétaire général des Nations unies au moment où - à quelques mois d'intervalle - cette organisation accueillait Israël comme Etat membre souverain et adoptait la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Pendant les vingt années suivantes, j'ai pris position contre toutes les formes de colonialisme et d'apartheid, quels qu'en soient les responsables, y compris mes compatriotes.

 

A 85 ans, j'ai pu visiter Israël et les territoires occupés sous la conduite de patriotes israéliens qui partagent mon respect pour les valeurs du judaïsme et leur place dans la civilisation contemporaine. J'en reviens choqué et plein d'appréhension.

 

Depuis l'assassinat d'Itzhak Rabin, le peuple israélien court vers l'impasse. Les termes d'apartheid et d'ethnocratie conviennent au sort réservé non seulement aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, dont aucun des droits fondamentaux n'est plus respecté et qui sont soumis aux violations, exactions, humiliations qui leur sont quotidiennement infligées, mais aussi à la population arabe d'Israël, qu'une politique subtile mais perverse marginalise économiquement, prive de terres, de droits et de ressources, et donc de toute promotion économique, sociale et culturelle véritable.

 

Le peuple israélien dans son ensemble vit cette évolution dans une morne indifférence, l'attribuant avec un mélange d'effroi et de découragement à la nécessité de lutter contre l'insécurité et le terrorisme, tout en sachant que cette lutte est jusqu'ici inefficace.

 

En revanche, une minorité courageuse, qui n'a pas trouvé sa place dans la Knesset et qui se tient à l'écart des partis politiques, incarne à mes yeux le vrai patriotisme, celui pour lequel l'Etat d'Israël doit être porteur des valeurs qui ont permis au long des siècles le rayonnement de la pensée juive : la dignité de tous ceux qui ont été créés à l'image de Dieu, comme l'indique le nom B'Tselem que s'est donné la principale organisation israélienne pour la défense des droits de l'homme.

 

Pour les avoir rencontrés au cours de ce voyage, je reviens avec la conviction qu'Israël n'échappera à la spirale de la violence et à la perte de ses repères qu'en écoutant ces voix, encore tristement minoritaires, celles de Goush Shalom, le Bloc pour la paix. Elles sont aujourd'hui étouffées par la proclamation de la seule puissance militaire et par la résignation à cette guerre sans fin qu'impose la diabolisation de l'adversaire.Elles appellent à une révolution copernicienne des esprits qui ferait de l'amitié et tout d'abord du respect mutuel des résidents des deux terres qui composent l'ancien mandat britannique de la Palestine l'objectif ambitieux de leur jeunesse.

 

J'ai pu, au cours de ce voyage trop bref, percevoir l'amorce d'actions ainsi orientées où Israéliens et Palestiniens se rejoignent et constatent que le clivage supposé irréversible entre leurs cultures et leurs valeurs respectives n'est qu'un leurre propagé par ceux qui veulent garder pour les seuls juifs la totalité des pouvoirs.

Par Stéphane Hessel, ambassadeur de France Article paru dans l'édition du 20.02.03
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