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23 décembre 2014 2 23 /12 /décembre /2014 02:02

 

2014 : quelle année pour la Palestine !

L’AG de l’ONU avait proclamé 2014 l’année de la Palestine.
Quelle année en effet pour les Palestiniens !

Sur le terrain, « Tsahal », l’armée qui possède un Etat, a continué à pousser ses pions :
poursuite de la réduction de la place des Palestiniens en Cisjordanie comme peau de chagrin, avec son cortège de morts et d’arrestations
- judaïsation violente de Jérusalem Est annexé, avec de plus expulsion « administrative » et sans motivation de jeunes Palestiniens de la ville ; provocations sur l’esplanade des Mosquées, tentative grossière mais dangereuse au plan mondial pour transformer le conflit colonial en conflit religieux
- judaïsation du Nakab/Neguev par concentration des Bédouins palestiniens dans des villes dortoirs et destruction de leurs villages, et poursuite de la colonisation de la vallée du Jourdain
manifestations racistes contre les Palestiniens comme contre les immigrés, et menaces sur les manifestations pacifistes
Gaza, bien sûr, Gaza sous blocus, Gaza victime d’un déluge de fer et de feu pour punir les Palestiniens d’avoir obligé toutes les factions à constituer un gouvernement d’unité nationale. Plus de 2200 morts, plus de 11000 blessés, des dizaines de milliers de Gazaouis encore sans-abri à l’entrée de l’hiver...

Sur le plan juridique et parlementaire, poursuite de l’escalade dans les discriminations proposées par l’extrême droite du Likoud et ses alliés d’extrême extrême droite : interdiction de la commémoration de la Naqba, projet d’Etat national du peuple juif, interdiction d’appeler à la campagne BDS,.... Cet été, comme le tribunal Russell l’a montré, outre la recension des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, c’est de bien des secteurs de l’opinion, y compris des responsables politiques et religieux, que sont partis de véritables incitations au génocide !

Sur le plan diplomatique, « l’incapacité » de John Kerry à influer sur le gouvernement Nétanyahou a été manifeste, les lobbys sionistes, juif comme évangélistes, interdisant au gouvernement US toute mesure de rétorsion, obtenant même du Congrès unanime le maintien d’un soutien militaire indéfectible, les USA réapprovisionnant Israël en munitions dès après l’opération « Bordure protectrice ». Le Président Hollande a été probablement cette année le chef d’Etat allant le plus loin dans l’affirmation de la solidarité occidentale à Israël, s’excusant de ne pas lui exprimer son amour en chantant, et affirmant en plein carnage le droit d’Israël à se défendre ! Quant à l’Union européenne, même si elle a agacé le gouvernement israélien par ses mesurettes sur l’étiquetage ou le blocage théorique des produits des colonies, elle a maintenu l’essentiel de l’accord d’association, au mépris de l’article 2 qui prévoit pourtant une suspension de l’accord en cas de non-respect des droits humains par Israël. L’opération « bordure protectrice » n’a même pas donné lieu à enquête internationale.
Un concentré de cette lâcheté de l’autoproclamée communauté internationale, en fait de sa solidarité sans faille avec son allié, nous est donnée par l’absence quasi complète de réactions devant la mort d’un ministre palestinien directement consécutive aux coups reçus des soldats de l’armée d’occupation, pour avoir osé manifester de façon non violente contre une nouvelle implantation coloniale, illégale même du point de vue israélien !

Quelles peuvent être alors les quelques lueurs d’espoir ?
D’abord, et avant tout, l’extraordinaire résistance du peuple palestinien, résistance armée légitime à Gaza, résistance le plus souvent non armée des comités populaires contre la construction du Mur ou contre des check points, grèves de la faim des prisonniers à l’isolement, résistance à l’étouffement à Jérusalem,...
Ensuite, s’il y a bien un processus de fascisation en Israël, il est loin d’être achevé. Non seulement Nétanyahou a été conduit à convoquer de nouvelles élections, mais il se trouve encore des jeunes pour refuser de participer à une armée criminelle, des journalistes courageux pour dénoncer l’aggravation du régime d’apartheid, d’anciens membres des « services secrets » pour dire tout haut qu’Israël fonce dans le mur...

Enfin, si la plupart des dirigeants de la « communauté internationale » se déshonorent dans le soutien à cet État voyou, les sociétés civiles, elles, multiplient les preuves de leur écœurement devant ces comportements honteux. Malgré le maintien de la circulaire Alliot-Marie en France et la poursuite de la tentative de criminaliser les actions, malgré la tentative lamentable soutenue par Valls et Hollande d’accrocher à nos actions l’infamante accusation d’antisémitisme, la campagne BDS se développe en France comme elle s’étend à l’étranger, les actions de Boycott économique, culturel, universitaire, sportif, se multiplient. Et cette campagne obtient des succès, même si les Sanctions tardent à venir, le Désinvestissement est à l’ordre du jour ; les adhésions mondiales d’associations syndicales à BDS se développent, les ventes des produits des colonies baissent, des chefs d’entreprises s’inquiètent, Sodastream doit déménager de Cisjordanie, des cargos de marchandises israéliennes sont arrêtés aux Etats-Unis, Veolia complice d’Israël perd de gros marchés...
Cet été, il y a eu des manifestations dans le monde entier, plus de 500 manifestations en France contre l’agression israélienne sur Gaza, souvent dans des villes qui n’en avaient pas connues pendant l’opération « plomb durci ». Une nouvelle génération s’est levée pour marquer sa solidarité.
La reconnaissance de l’État de Palestine par les deux tiers des États du monde, qui s’est étendue à plusieurs États européens cette année, est le signe encourageant que la mobilisation des peuples peut parvenir à faire bouger un tant soit peu des dirigeants aussi rétifs soient-ils.

L’Union Juive Française pour la Paix salue le peuple palestinien et sa résistance. En 2014, elle a gagné en visibilité et s’est renforcée, car parmi les Juifs de France eux-mêmes l’exaspération devant la politique israélienne et devant la prétention du CRIF à les engager en soutien a grandi. Elle appelle à une particulière vigilance dans les semaines qui viennent, car les surenchères sont à craindre dans la période électorale qui s’ouvre. Elle s’engage, et engage tous ses adhérents à développer encore plus et mieux la solidarité sous toutes ses formes, en développant et approfondissant les cadres unitaires, notamment celui de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions.

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Depuis 2000, les forces de sécurité israéliennes ont tué plus de 8896 Palestiniens (Source : Defence for Children International Palestine)
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Parmi les victimes, au moins 1895 sont des enfants (Source : Defence for Children International Palestine)

Le Bureau national de l’UJFP le 21-12-2014

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23 décembre 2014 2 23 /12 /décembre /2014 01:58

DOSSIER 1914-1918

Le canal de Suez, un enjeu stratégique

COMMENT LONDRES RENFORÇA SON EMPRISE SUR L’ÉGYPTE

   > 18 DÉCEMBRE 2014

Voie de communication essentielle entre les Indes et l’Europe, le canal de Suez ne pouvait garder son statut de neutralité durant la première guerre mondiale. Le Royaume-Uni allait tirer parti du conflit pour assurer son contrôle du canal, en dépit des conventions internationales. Un contrôle qui se prolongera jusqu’à la décision du président Gamal Abdel Nasser de nationaliser la compagnie du canal de Suez le 26 juillet 1956.

En cas de conflit, l’Égypte ne pouvait rester neutre. Ernest Renan, dans un discours célébrant le canal de Suez, l’avait bien compris :«  Clef de l’Afrique intérieure par le Nil, par son isthme, gardienne du point de vue des mers, l’Égypte n’est pas une nation, c’est un enjeu [...]  »1.

En 1869, l’ouverture du canal de Suez a exacerbé la rivalité anglo-française sur cette région du Proche-Orient. Afin de protéger leur route des Indes, les Britanniques occupent militairement l’Égypte en 1882  ; ils s’assurent également d’une meilleure position dans le conseil d’administration de la compagnie qui gère le canal de Suez et dont ils détiennent 44 % des parts depuis leur rachat des actions du vice-roi égyptien en 1875. Toutefois, le canal de Suez obtient en 1888 le statut de voie maritime internationale, tenue à la neutralité en temps de paix comme en temps de guerre. Ce statut a été respecté par les navires de la guerre franco-prussienne de 1870 et des conflits hispano-américain (1898) et russo-japonais (1904-1905). De même, en 1911, lors de la guerre italo-turque, la neutralité est respectée sur intervention des Britanniques qui permettent aux bateaux des deux pavillons de se ravitailler dans les ports du canal.

UNE NEUTRALITÉ MISE EN CAUSE

La première guerre mondiale est un moment spécifique puisque la question de la neutralité de la voie maritime se pose désormais dans un contexte de guerre mondialisée. D’autre part, si dans aucun des conflits précédemment cités le Royaume-Uni n’était directement impliquée, en 1914 la situation est bien différente : puissance occupante de l’Égypte, mais aussi plus grande puissance maritime, il est engagé dans la guerre. Pour Londres, «  tenir  » le canal permet de contrôler la place égyptienne, de défendre ses positions au Proche-Orient et de sécuriser la route des Indes. De plus, par Suez sont acheminées les troupes de l’Empire venues d’Inde ou d’Australie, ainsi que le pétrole perse. L’or noir, carburant nécessaire aux marines de guerre, devient en effet un enjeu stratégique durant le conflit  ; les premiers gisements de pétrole dans la région du Golfe sont exploités depuis 1912 par l’Anglo Oil Persian Company.

Malgré l’occupation britannique, l’Égypte reste officiellement une province de l’empire ottoman et le canal de Suez, selon la convention de 1888, est placé sous la responsabilité de Constantinople. Or, le 5 novembre 1914, lorsque l’empire ottoman entre dans la guerre en s’alliant officiellement à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, la situation devient inacceptable pour Londres. La solution est radicale : le lien de vassalité avec Constantinople est coupé et l’Égypte est déclarée protectorat britannique. Cette rupture s’accompagne d’un renforcement des pouvoirs de l’occupation britannique dans le pays. Le khédive Abbas Hilmi II est destitué et remplacé par une personnalité plus docile : son oncle Hussein Kamil. La presse nationaliste est muselée par la loi martiale et les paysans de Haute-Égypte sont mobilisés au sein de l’Egyptian Labour Corps et du Camel Transport Corps, unités créées au cours de l’année 19152.

Quant au canal de Suez, il devient pour les Alliés une zone hautement stratégique. Il offre un glacis défensif de l’Égypte et de l’Afrique du Nord contre une attaque venue de l’est, ainsi qu’un verrou des routes de la mer Rouge et de l’océan Indien. Sur le front de Suez, l’armée d’occupation renforce ses contingents : la région accueille 24 bataillons d’infanterie, 12 canons, un corps de chameaux et un détachement du Royal Flying3. Au début de la guerre, les unités d’occupation sont constituées pour l’essentiel de troupes indiennes, renforcées par la suite par l’arrivée de soldats australiens et néo-zélandais.

Au début de l’été, les navires allemands et autrichiens transitant en Méditerranée sont avisés par les autorités égyptiennes de l’interdiction de naviguer dans la voie maritime. Avec l’entrée en guerre de l’empire ottoman en novembre, la Compagnie du canal de Suez se sent moins tenue par son obligation de neutralité et, face à la mondialisation du conflit, se range du côté de l’Entente. Son conseil d’administration met fin au mandat de l’Allemand Philipp Heineken, président du Nordeuscher Lloyd, et le remplace par un Français au cours du mois de juin 1915.

BASE ACTIVE DES ALLIÉS EN MÉDITERRANÉE

L’isthme devient une base active du dispositif militaire allié en Méditerranée. Les Britanniques s’appuient sur la collaboration avec la Compagnie du canal de Suez qui met à leur disposition ses locaux et son matériel, tout en exonérant des droits de transit les navires affectés à la défense du canal. En outre, la Compagnie compte parmi ses pilotes un bon nombre d’anciens officiers de la marine nationale française. Les autorités militaires britanniques, de concert avec le gouvernement français, mobilisent leurs hommes sur place de manière à soutenir l’action des troupes britanniques grâce à leurs connaissances techniques du canal  ; il s’agit en effet d’éviter à tout prix le blocage de la voie maritime. Du côté de l’état-major français, on se montre en outre soucieux de ne pas laisser la défense du canal aux seuls Anglais4.

Les Alliés se préparent dans la région à une double menace venant du nord par la mer et de l’est par le désert. En premier lieu, ils redoutent une attaque des flottes allemande et autrichienne à l’entrée nord du canal  ; en effet, au début du mois d’août 1914, se répand la nouvelle du bombardement des ports algériens de Philippeville et de Bône par les croiseurs allemandsGoeben et Breslau. Partis charbonner dans le port de Messine en Italie, ils prennent la direction de la Méditerranée orientale, avant de s’éloigner pour se réfugier à Constantinople. Le danger a été pris très au sérieux, les ports sont bloqués et seuls les navires de l’Entente sont autorisés à s’engager dans la voie d’eau.

Au début de l’année 1915, la menace se déplace vers le désert avec l’assaut des troupes d’infanterie turque menées par le commandant Djamel Pacha. Les Allemands ont demandé à l’armée ottomane de se lancer dans une offensive contre Suez afin de bloquer la route de l’Inde à la Méditerranée. Le 1er février 1915, les troupes turques s’installent sur le plateau des Hyènes, en face d’Ismaïlia. La bataille décisive se déroule le 3 février et se conclut le lendemain par la défaite de l’armée turque. Néanmoins, les Turcs continuent à menacer les convois par des batteries de canons disposés le long de la rive orientale. De plus, des mines sont passées à la nage d’une rive à l’autre : la longueur des berges entraîne des faiblesses dans la surveillance et l’ennemi parvient à faire exploser une dizaine de mines, sans réussir toutefois à bloquer la navigation.

Jusqu’alors, la tactique des forces britanniques demeure défensive, consistant à rendre le canal infranchissable : les Alliés sont installés sur la rive occidentale, protégés des tirs ennemis venus d’en face par des sacs de sable. Aucune troupe n’est installée à demeure sur la rive orientale. Au printemps 1916, les autorités militaires alliées abandonnent leur ligne défensive pour une stratégie offensive. Il s’agit désormais de développer les communications est-ouest de manière à assurer le passage du corps expéditionnaire anglo-égyptien vers le Levant. La ligne de chemin de fer entre la région du Delta et Ismaïlia est prolongée jusqu’à El-Kantara, localité située sur la rive orientale du canal  ; les deux rives sont reliées au moyen d’un bac porte-trains. À partir d’El-Kantara, les troupes empruntent la voie ferrée construite durant la guerre par les Anglais pour atteindre Jaffa  ; de là, elles récupèrent l’ancienne ligne ottomane menant à Jérusalem5. De front fortifié, le canal devient ainsi une base de départ vers l’est pour soutenir les forces britanniques en Palestine et en Syrie.

La contre-attaque des Alliés débute au printemps 1917  ; les unités alliées sont dirigées vers Gaza au mois d’avril afin de soutenir les troupes du général Edmund Allenby engagées dans la prise de la Palestine. Tandis que Jérusalem tombe entre ses mains le 9 décembre, la menace sur le canal semble s’éloigner. Jusqu’à la fin du conflit, les forces alliés restent néanmoins en alerte, redoutant les attaques de petits commandos turcs, le passage de mines d’une rive à l’autre et le dynamitage des infrastructures de transport  ; les mesures défensives et la surveillance étroite des berges sont ainsi maintenues jusqu’à l’armistice.

UNE VOIE DE COMMUNICATION BRITANNIQUE

Avec les opérations de guerre, les Britanniques se sont ainsi imposés comme les maîtres de la région. Leur reviennent désormais le droit et le devoir d’assurer la protection du canal. Quant à la Compagnie du canal de Suez qui a servi de base arrière aux troupes alliées au Moyen-Orient, elle sort renforcée du conflit. Le lieutenant colonel P. G. Elgood lui rend d’ailleurs hommage dans la dédicace de son livre : «  To the Suez Canal Company, Loyal and Unseeking Friend to the British Military Forces Serving in the Suez Canal Zone, 1914-1919  »6. Tous les 11 novembre, des années 1920 jusqu’en 1956, cet effort de guerre est célébré par des associations d’anciens combattants  ; en 1934, un monument aux morts de la Grande Guerre est élevé sur les berges de la voie d’eau. Ces célébrations, en revanche, sont peu du goût des Égyptiens, pour lesquels la guerre a surtout montré la fragilité de la neutralité du canal de Suez : ce «  canal des Anglais  » devient l’enjeu majeur de la reconquête nationale et du départ des Britanniques du pays jusqu’à la crise de Suez en 1956.

1Réponse d’Ernest Renan au discours de Ferdinand de Lesseps lors de son élection à l’Académie française, le 23 avril 1885, dans Souvenirs de quarante ans dédiés à mes enfants, Nouvelle Revue, Paris, 1887  ; t. I, p. 523.

2Anouar Abdel Malek, Idéologie et renaissance. L’Égypte moderne, Anthropos, Paris, 1969  ; p. 69.

3P. G. Elgood, Egypt and the Army, Clarendon Press, 1969  ; p. 114-118.

4Henri Chateauminois, «  Le canal de Suez pendant la guerre de 1914  »,Bulletin du souvenir (Association du souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez), n° 6  ; p. 45-54.

5«  Avec les armées alliées à Jérusalem  », L’Illustration, 10 août 1918.

6P. G. Elgood, Egypt and the Army, op. cit.



http://orientxxi.info/l-orient-en-guerre-1914-1918/le-canal-de-suez-un-enjeu,0665

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4 décembre 2014 4 04 /12 /décembre /2014 01:54
Du bon usage du mot « terrorisme » et de quelques autres termes

DES CONCEPTS À DIMENSION VARIABLE

ORIENT XXI MAGAZINE > ALEXIS VARENDE > 1ER DÉCEMBRE 2014

Au moment où une coalition internationale, conduite par les États-Unis et à laquelle participe la France est engagée dans une opération militaire contre l’organisation de l’État islamique, il n’est pas indifférent de rappeler combien certains mots sont source d’ambiguïté et objets de manipulations. Par leur usage répétitif, sans discernement ni à propos, ils contribuent à former des opinions erronées et à faire accepter des politiques à courte vue.

Attaque israélienne au phosphore blanc sur une école à Gaza durant l'opération Plomb durci.
Human Rights Watch, Beit Lahiya, 17 janvier 2009.

«  Islamiste  », «  salafiste  », «  djihadiste  », «  wahhabite  », «  takfiriste  », «  extrémiste  », «  barbare  » : les médias français et internationaux ne prennent plus la peine de distinguer entre ces termes, qu’ils utilisent depuis plusieurs décennies. Au gré de l’écriture ou de la parole, ils les appliquent indifféremment à ceux qui ont une conception dogmatique de l’islam — qu’ils aient recours à la violence ou qu’ils respectent les règles de la démocratie — et parfois même aux musulmans dans leur ensemble. Plus ambigu encore, ils sont parfois accompagnés, sans nuance, du mot «  terroriste  », utilisé à tort et à travers1.

Ces analogies sont de plus en plus fréquentes depuis que «  l’organisation de l’État islamique (OEI)  »2 conquiert des territoires en Irak et en Syrie, diffuse sur Internet les macabres exécutions de ses otages occidentaux et arabes et commet des exactions contre les chrétiens, les chiites et les Kurdes yézidis. Quant au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, il a mis dans un même sac «  le Hamas, Al-Qaida, Jabhat Al-Nosra, l’État islamique en Syrie, Boko Haram, Al-Shabab et le Hezbollah soutenu par l’Iran  »3. S’il avait pensé à un passé récent, il n’aurait pas manqué d’allonger sa liste en citant Yasser Arafat, les Afghans, le Front islamique du salut algérien (FIS), etc.

MANIPULATION PAR LA PEUR

L’imprécision des uns et la politique d’amalgame des autres obscurcissent la compréhension de phénomènes politiques, religieux et politico-religieux distincts. Ils donnent aussi le sentiment que le monde se réduit à deux humanités, celle qui utilise la violence et celle qui n’y consent pas, celle qui menace et celle qui est menacée4.

Cette profession de foi, réductrice et simpliste, contribue au développement d’un sentiment de peur et à son corollaire, la demande de sécurité. Cet échange est inhérent au pacte social mais, outre qu’il a un coût en matière de libertés publiques (surveillance des populations par des moyens techniques et informatiques, adoption de textes législatifs et réglementaires renforçant la répression et la censure, emprisonnement de journalistes, etc.), il donne carte blanche aux États démocratiques pour intervenir à l’extérieur de leurs frontières. Forts du consentement de leur peuple5, ces États se sentent légitimés dans leur lutte contre des menaces susceptibles d’être importées dans la sphère nationale mais parfois aussi contre un danger fantasmé. Ainsi des armes de destruction massive qu’aurait détenues le régime de Saddam Hussein en 2003, ou des tortures pratiquées à Guantanamo au nom de la lutte contre le terrorisme.

Société de l’informatique ou âge de pierre, la peur reste la raison de tout pouvoir politique. C’est bien la peur d’être anéanti qui est à l’origine du pacte social passé entre les membres d’un groupe et leur chef, que les sociétés soient archaïques, anciennes, modernes, contemporaines ou post-modernes. Plus le sentiment de danger est fort (que le danger soit réel ou ressenti) plus les peuples acceptent, réclament, exigent l’autorité de leurs chefs pour qu’ils assurent leur protection. Ils donnent ainsi du champ aux responsables politiques qui peuvent être tentés de stigmatiser toute manifestation individuelle ou populaire contraire à leurs intérêts ou à leur existence en la qualifiant de «  terroriste  ». Le président syrien Bachar Al- Assad, cherchant à éliminer son opposition au nom d’une trompeuse «  guerre contre le terrorisme  », a beaucoup utilisé ce prétexte. D’autres dirigeants de la région se sont abrités derrière la «  guerre mondiale contre le terrorisme  » mise en place par Washington au début des années 2000 pour emprisonner ou éliminer leurs opposants. D’où la nécessité de s’approcher au plus près de la notion de terrorisme.

«  TERRORISTES  » OU «  COMBATTANTS DE LA LIBERTÉ  »  ?

Il n’existe aucune définition du terrorisme unanimement reconnue par la communauté internationale. Ceux qui utilisent les violences radicales, quelles qu’en soient les formes, les moyens, les motivations, les cibles ou les résultats, sont-ils des «  terroristes  », des «  combattants de la liberté  » ou des «  résistants  »  ? On connaît le dilemme. Il n’est pas tranché. En mars 2002, le réalisateur américain Oliver Stone rendait visite à Yasser Arafat. Il lui expliqua qu’il voulait faire un film sur les «  combattants de la liberté  » dans lequel il aurait naturellement sa place. «  Definitely  !  », lui répondit avec chaleur le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Puis, suspicieux, il demanda quels autres dirigeants seraient au générique du film. Kim Jong-il, le dirigeant coréen «  bien aimé  », Saddam Hussein «  le combattant  », Mouammar Kadhafi «  le fantasque  » et d’autres, répondit le réalisateur américain. Arafat mit aussitôt fin à l’entretien, signifiant que son propre combat avait sa spécificité et une finalité différente.6

Tentons quelques classifications. Les attentats à la voiture piégée au Liban, en Syrie ou en Irak sont des actes de terrorisme en ce sens qu’ils tuent des civils de façon indiscriminée. Le largage par le régime syrien de bombes-barils sur des zones civiles, l’utilisation de l’arme chimique contre ces mêmes populations et les massives prises d’otages de populations civiles par Boko Haram sont des actes terroristes parce qu’ils visent des civils de façon indiscriminée. L’élimination par Israël de Mohammed Deif (responsable des brigades Ezzedine al-Qassem, branche armée du Hamas, tué dans Gaza en août 2014) est un assassinat ciblé qui ne devrait pas entrer dans la catégorie des actes terroristes. Mais les tirs de missiles sur Gaza qui ont provoqué la mort de milliers d’enfants et civils entrent dans cette catégorie. L’enlèvement, tant médiatisé, du soldat franco-israélien Gilat Shalit en 20067 ne peut être considéré comme un acte terroriste dans la mesure où il a été libéré (en 2011) et échangé contre d’autres prisonniers palestiniens. En revanche l’assassinat d’Hervé Gourdel est un acte terroriste parce que son enlèvement a été accompagné de menaces et de chantage à l’égard de la France et que son exécution a été préméditée.

Les notions de terrorisme d’État et de contre-terrorisme d’État mériteraient d’être affinées. Le terrorisme d’État est celui pratiqué par l’actuel régime syrien contre ses opposants. La violence radicale de certains groupes palestiniens ou kurdes est typique de ces affrontements entre organisations de libération nationale terroristes et puissance occupante de type colonial ou oppressif, laquelle en retour pratique un contre-terrorisme d’État.

BROUILLER LA COMPRÉHENSION

Désigner comme «  terroristes  » tous les acteurs qui utilisent la violence a pour inconvénient d’empêcher l’analyse des stratégies, par nature différentes, de ceux qui utilisent cette violence. Si tout est «  terrorisme  », il n’est plus possible de distinguer entre les différentes formes que prend la violence et il n’y a d’autre solution que d’y porter remède par une autre violence qu’on appellera résistance, riposte, guerre préventive, représailles, vengeance, auto-défense, etc. Surtout, il n’est plus nécessaire de prendre en compte les causes sociales, économiques, politiques ou historiques de chacune de ces violences. Selon cette conception, la lutte des Palestiniens serait d’essence «  terroriste  » et il ne serait plus utile de mentionner leur histoire, leur aspiration à disposer d’un État, leurs revendications territoriales et leur rejet des colonies. On considèrerait que Palestiniens et Israéliens sont engagés dans des actions de «  terrorisme  » et de «  contre-terrorisme  » attribuables aux uns ou aux autres selon les circonstances et les convictions de chacun, à la manière des vendettas insulaires.

Les médias contribuent à cette simplification. Un exemple du rôle que jouent les chaînes d’information est celui offert par Euronews, une chaîne de télévision d’information en continu, paneuropéenne et internationale. Elle diffuse chaque jour de très courtes séquences d’actualité internationale — le plus souvent sur des conflits — sans offrir le moindre commentaire. L’intitulé de cette émission est d’ailleurs «  No comment  ». Pour peu que l’on ne sache pas de quoi il s’agit, on s’imprègne de l’idée d’un monde fait de guerres, grandes ou minuscules, de destructions et de catastrophes humaines, où existe une violence sans frontières pouvant surgir à tout moment, ici ou là, sans raison et dont n’importe quel groupe ou individu serait responsable. Le journal du soir donne la clé qui manquait : il s’agit de «  terrorisme  », terme suffisamment dramatique pour englober uniformément toutes les formes de violence, radicales ou pas, et propre à saisir d’effroi les populations. Mais justement, toutes les actions de violence ont pour ambition de semer la terreur.

Ce qui est vrai en politique interne se retrouve en diplomatie. Juger de la nature de son ennemi — aujourd’hui l’OEI — passe par la compréhension de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas. Faute d’y parvenir, l’issue du combat et ses conséquences risquent de ne pas être à la hauteur des espérances.

«  NI ÉTAT NI ISLAMIQUE  »

Lorsque le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, remarque que le «  califat  » est une «  injure [qui] n’est ni un État ni islamique  », il parle aux Français de toutes croyances en reprenant ce que la plupart d’entre eux ressentent8. Il dit ce qu’avait déjà signalé le président Barack Obama : «  L’EIIL9n’est pas islamique (…) et l’EIIL n’est certainement pas un État  ».

Le fait que l’OEI ne soit pas un État n’est pas contestable, même si ses membres disposent désormais d’un territoire sans frontières établies ou reconnues et qu’ils ont autorité sur ses populations par la contrainte, la soumission ou la conviction. Dire qu’il utilise la terreur à grande échelle comme moyen de sa politique est une évidence générale. C’est d’ailleurs cette évidence même qui a permis la formation de la coalition internationale10. Sans eux la coalition aurait été réduite, bancale, voire illégitime, comme a été illégitime et illégale l’intervention américaine en Irak à partir de 2003. Signifier qu’il serait injuste et immoral d’amalgamer l’OEIet l’islam est frappé au coin du bon sens. Qu’une coalition d’États engage le fer contre une alliance de groupes qui ont assassiné nombre de personnes, qui en menacent des milliers d’autres et déstabilisent le Proche-Orient est donc légitime. Mais affirmer que sa nature n’est pas islamique est un défi d’une autre portée.

L’islam est pluriel comme toute autre religion. Mais il existe un courant qui tente depuis longtemps d’imposer «  sa  » vision d’un islam véritable et authentique : le wahhabisme. Ce courant dispose d’un État, l’Arabie saoudite, seul de la communauté internationale à porter le nom de la famille régnante et à avoir été constitué en 1932 à partir d’une doctrine religieuse et d’un pacte d’alliance passé au XVIIIe siècle entre un chef de tribu, Mohamed ibn Saoud et un théologien, Mohammed ibn Abdelwahhab. Cet État a un souverain qui se présente comme le «  Gardien des deux saintes mosquées  » et le défenseur de l’islam authentique. Il s’affirme comme musulman, récusant l’idée qu’il ne représente que les wahhabites. Il y a longtemps que les Saoud prônent un strict retour au Coran et se réclament d’une interprétation doctrinaire de la religion musulmane. Ils en ont fait aussi le guide de leur action diplomatique en finançant des groupes salafis, en exportant sur tous les continents les textes wahhabites, en contribuant au financement de mosquées, d’écoles…Leur conception de l’islam a gagné du terrain dans de nombreux pays arabes, musulmans et occidentaux.

Il ne faut pas chercher trop longtemps pour vérifier que les conceptions doctrinales du wahhabisme et de l’OEI se recoupent sans difficulté et qu’elles sont interchangeables. Le paradoxe est que le roi Abdallah Ben Abdel Aziz Al-Saoud a accepté de faire partie d’une coalition destinée à combattre ceux qui ont profité des financements de son royaume et de ses princes. Plus grave, son régime participe à une action politique et militaire dont les prémices sont de déclarer «  non islamique  » une organisation qui partage avec lui la même conception de l’islam. Mais comment discréditer celui dont vous êtes le double presque parfait  ? Comment retirer à l’OEI sa référence islamique et rester crédible auprès de tous ceux qui se reconnaissent dans le wahhabisme  ?

On comprend que la royauté saoudienne s’est engagée pour plusieurs raisons. D’une part, elle profitera de sa présence au sein de la coalition pour tenter de porter des coups au régime de Damas. D’autre part, elle craint que son autorité religieuse, voire son existence, soit menacée et elle a tout intérêt à condamner«  l’extrémisme et le terrorisme  » dont elle a déjà été la cible.11

Certes, l’Organisation de l’État islamique n’ira pas demain conquérir la Mecque. Mais elle menace le royaume parce qu’elle y dispose d’un très large soutien de la population dont le référent religieux est identique au sien. Un récent sondage publié par Al-Monitor montre que la quasi-totalité des Saoudiens estime que l’OEI «  se conforme aux valeurs de l’islam et à la loi islamique  ».12 Même défait militairement, l’OEI conserverait un réservoir de soutiens en Arabie saoudite et probablement dans tous les pays qui ont été réceptifs à la diffusion du wahhabisme.

1Alain Gresh, «  Guerre contre le terrorisme, acte III  »Le Monde diplomatique,octobre 2014.

2Également appelée Da’esh (Daech), qui signifie «  État islamique en Irak et au Levant  » en arabe الدولة الاسلامية في العراق والشام ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wal-shām mais qui est connoté négativement  ; État islamique en Irak et en Syrie  ; État islamique. Acronymes anglais : ISIS, ISIL ou IL.

3Discours du premier ministre Benyamin Nétanyahou à l’Institut international pour le contre-terrorisme, 14e conférence internationale sur le contre-terrorisme, 11 septembre 2014.

4Le premier ministre israélien partage cette conception d’un monde binaire. Il appelle «  coupure morale  » (moral divide) la frontière qui sépare les groupes «  terroristes  » des démocraties.

5Irak : 53 % des Français favorables aux frappes contre l’État islamique selon un sondage Francetv info avec AFP, 21 septembre 2014. Ce sondage a été réalisé avant l’exécution d’Hervé Gourdel.

6Après quelques négociations, Arafat accepta d’être filmé mais a minima. Le documentaire s’intitule Persona non grata.

7Enlèvement revendiqué par les brigades Ezzedine al-Qassem et les comités de résistance populaires.

8Romain Rosso et Jean-Michel Demetz, «  État islamique : comment chasser le “calife‟  ?  »L’Express, 18 septembre 2014.

9État islamique en Irak et au Levant.

10À la Conférence de Paris (15 septembre 2014), les États-Unis ont annoncé qu’une quarantaine de pays allaient se rallier, dans des proportions variables, à la coalition internationale. Pour le moment ont été opérationnels : les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, la Jordanie, le Qatar. Ni le régime syrien ni l’Iran chiite n’en font partie.

11L’ambassade d’Arabie saoudite à Washington maintient à jour la liste des déclarations officielles du royaume «  condamnant l’extrémisme et le terrorisme  » depuis juin 1996, date de l’attaque à la bombe à Al-Khobar.

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8 novembre 2014 6 08 /11 /novembre /2014 01:56
Comment la première guerre mondiale a transformé le Proche-Orient

NATIONALISME ARABE ET SOUFFRANCES INDICIBLES

ORIENT XXI L’ORIENT EN GUERRE (1914-1918) LEYLA DAKHLI > 6 NOVEMBRE 2014

La première guerre mondiale a été la matrice d’un nouveau tracé des frontières en Europe et au Proche-Orient. Elle a déterminé la manière dont cette région est constituée, notamment autour du plan de partage des zones d’influence connu sous le nom d’accords Sykes-Picot. Le débat actuel autour des frontières héritées de cette entente entre Britanniques et Français et leur contestation montrent bien combien ces meurtrissures demeurent, mais on ignore souvent l’ampleur des traces non territoriales du premier conflit mondial dans la région. C’est toute une manière de lire et de comprendre la région qui s’est construite dans la guerre et dans l’effondrement à sa suite de l’empire ottoman.

La première guerre mondiale, déclarée par l’empire ottoman aux côtés des Puissances centrales porte le conflit sur les territoires du Bilad Al-Sham, une Grande Syrie qui comprend le Mont-Liban, la Syrie actuelle, une partie de la Palestine et de la Jordanie (nous n’examinerons pas ici les conséquences de la guerre sur les pays du Golfe). Mais ce n’est pas par impact direct, par la présence de combats (quasi inexistants dans un premier temps en réalité) que la guerre marque les esprits dans la région. Elle est synonyme de famine et de désolation, de rationnement et de fin brutale d’une période de relative prospérité, déjà mise à mal par la crise qui secouait l’empire depuis les guerres des Balkans. Conséquence directe du conflit, la rupture des relations avec les Puissances alliées entraîne la fermeture de débouchés commerciaux précieux.

Dans les récits de l’époque, c’est l’humiliation et la faim qui dominent. Face à cette situation, la solidarité entre les Levantins restés au pays et ceux de la diaspora se renforce et on voit ces derniers récolter des fonds pour venir en aide à leurs familles restées au pays. Là-bas, les officiers ottomans font exécuter des personnalités soupçonnées de trahison, ils éloignent et déportent des familles entières, menacent d’enrôler dans l’armée les chrétiens jusque là exemptés. De leur côté, les puissances coloniales européennes tentent de séduire et d’obtenir le soutien des nationalistes arabes, par-delà leurs clientèles traditionnelles chrétiennes et juives. Le Proche-Orient est le champ d’opérations très complexes et les sociétés dans leur ensemble sont transformées par ces épreuves et ces changements.

ENTRE LOYAUTÉ ET ÉMANCIPATIONS

La région dont il s’agit ici est celle que l’on appelle en arabe «  le pays de Damas  » (Bilad al-Sham). Elle constitue le cœur des provinces arabes de l’empire ottoman, autour de villes comme Alep, Damas et Jérusalem à l’intérieur et Jaffa, Acre, Haïfa ou Beyrouth sur la façade maritime. Cet espace possède depuis le milieu du XIXe siècle une identité propre, un réseau commercial, culturel et universitaire qui le structure et en fait une zone parcourue par des marchands, des étudiants, des savants. S’y croisent des commerçants chrétiens de différentes confessions, des Arméniens, des juifs, des druzes, des musulmans sunnites et chiites, des sédentaires et des nomades. Chacun joue son rôle dans une économie de plus en plus tournée vers l’extérieur. Les villes portuaires attirent de plus en plus d’ouvriers issus de l’intérieur, mais aussi parfois d’Europe (Italie). On y embarque du coton, de la soie, des savons, des oranges…De nombreuses communautés levantines s’installent par-delà les mers pour poursuivre ces commerces. À la fin des années 1880, c’est ce qu’on appelle alors «  le Levant  » qui se constitue, au sein de l’empire ottoman et en ses confins, de Salonique à Alexandrie.

Le monde levantin n’est pas seulement le lieu du cosmopolitisme marchand «  heureux  », il est aussi fils des crises et conflits civils majeurs qui ont émaillé les années 1840-1860 dans la région (dont l’acmé est certainement atteint avec les massacres de 1860 au Mont-Liban1), des contestations émanant des savants (pétition de 1881  ; crise des «  darwiniens  » du collège protestant de Beyrouth). Avec ces crises et les transformations qui affectent la région, l’empire ottoman se réforme à partir de 1876(Tanzimat) en faisant la place à un nouveau découpage des provinces et à une nouvelle autonomie. On peut y lire l’essor d’une revendication identitaire nationale, à l’intérieur du cadre ottoman, qui se réforme pour accueillir ces volontés de transformation et de modernisation. La mise en question de ces réformes fait surgir des contestations fortes dans l’Empire, au nom même de l’application de la Constitution de 1876 (restaurée brièvement lors de la révolution jeune-turque de 1908).

Lorsque la première guerre mondiale surgit en Méditerranée, les transformations sont nombreuses au sein de l’Empire : en Europe, les guerres balkaniques  ; en Afrique, la guerre de Libye2 Le cycle du conflit mondial s’ouvre par ces guerres territoriales et «  identitaires  » aux marges de l’empire.

LA GUERRE AVANT 1914

D’emblée, le Proche-Orient vit dans une autre chronologie de la guerre. Dans les provinces arabes, la guerre de Libye est un moment important. Le discours anticolonial arabe se forge en bonne partie durant cet épisode. Des intellectuels comme Chakib Arslan y expérimentent leur attachement à l’empire ottoman comme garant de l’unité d’un ensemble arabe et musulman. À partir de 1911, la fidélité ottomane se vit dans l’expérience d’un attachement aux acquis de 1908 (liberté et autonomie relatives), mais aussi dans la défiance vis-à-vis des autres puissances impériales, la France et le Royaume-Uni.

Il est important de comprendre que les termes de cette alternative ne sont clarifiés que dans ces années-là, et qu’ils restent encore assez fluctuants lorsqu’en 1913 est organisé le premier «  congrès arabe syrien  » à Paris. Il se tient à la Société de géographie, donnant une image saisissante de l’état des questions nationales et du rapport qu’entretiennent les intellectuels et militants arabes avec l’Empire auquel on reproche son tournant autoritaire. Organisé par la diaspora, il réunit des représentants des communautés syriennes d’Europe, d’Amérique et d’Égypte. Les principaux courants représentés sont structurés autour de deux pôles :

- les décentralisateurs : fidèles à l’Empire mais demandant une décentralisation radicale et une autonomie des provinces arabes (ils sont souvent issus du mouvement Al-Fatat, «  Jeunes Arabes  »), le plus souvent très hostiles à une alliance avec les puissances européennes  
- les réformistes : prêts à demander l’appui des puissances européennes pour obtenir leur autonomie et leur indépendance.

Bien entendu, à l’intérieur de ces deux pôles, des nuances multiples et des débats étaient possibles.

Ces luttes et ces tensions de l’avant-guerre ne sont pas à négliger car elles déterminent radicalement les positions prises par les uns et les autres pendant le conflit et à partir du moment où se structurent les positions européennes (française et britannique) et ottomane. Une partie de l’effondrement de la fidélité ottomane dans les provinces arabes s’explique par la désillusion des élites arabes vis-à-vis du comité Union et progrès qu’ils avaient soutenu à partir de la révolution jeune-turque de 1908.

C’est cette atmosphère que recueillent les agents syriens au service de Jaussen. L’agent A. Nasser3, chargé de faire un rapport sur la «  question syrienne  » et installé en Égypte, y observant la communauté des Shawam, écrit dans son rapport :

La désillusion fut grande et les désertions nombreuses  ; bientôt même dans le sein du nouveau Parlement ottoman, les partisans du comité «  Union et progrès  » qui se faisaient appeler «  unionistes  » rencontrèrent plusieurs oppositions d’un nouveau groupe qui s’était créé sous le nom de «  Parti libéral  » et dont le chef était le vieux Kiamil Pacha. Ce parti ne vint au pouvoir que deux mois, pendant la guerre balkanique, quand la Turquie écrasée demandait la paix à tout prix et suppliait l’Europe de la sauver. Les unionistes avaient déchaîné la guerre balkanique qui en peu de temps amena les Bulgares aux portes de Constantinople. Se voyant irrémédiablement perdus, les unionistes abandonnèrent le pouvoir et laissèrent le soin à Kiamil Pacha et aux libéraux d’arrêter l’invasion et de conclure une paix moins honteuse. Pacha ne réussit pas à réduire les prétentions bulgares au sujet d’Andrinople et finit par être renversé par le coup d’État d’Enver qui de sa main assassina Nazim Pacha alors ministre de la Guerre.

(…) Depuis lors les unionistes sont au pouvoir et les méfaits de leur régime deviennent de plus en plus nombreux.

À la suite de la chute d’Abdul Hamid, les adhérents au comité «  Union et progrès  » furent très nombreux en Syrie, surtout à Beyrouth, centre intellectuel de la Syrie. Les chrétiens étaient aussi nombreux que les musulmans et tous (étaient) sincères dans leur conviction. Mais bientôt la «  fausseté  » des unionistes se faisant jour et profitant de la création du Parti libéral, presque tous les Syriens se rallièrent avec enthousiasme à ce nouveau parti. Déjà dans leur esprit trop longtemps endormis [sic] s’étaient réveillées les idées de Liberté, d’Égalité et de Justice.

La presse se mit à écrire librement et les mots d’autonomie, de droits des Arabes qui se pensaient auparavant avaient alors libre cours et se criaient à haute voix.

On y voit d’emblée l’importance des guerres balkaniques dans le lien qui s’établit avec le pouvoir ottoman dans les années d’avant-guerre. Et le lien est établi immédiatement entre les choix opérés avant-guerre et l’émergence de l’idée nationale arabe. La perspective adoptée ici par un agent au service de la France ne doit pas être considérée comme une vérité simple, elle est agencée de telle manière qu’elle puisse faire émerger une alliance possible avec certains parmi les Arabes. La suite du rapport montre bien que c’est la carte libanaise — celle de L’Union libanaise de Iskandar Ammoun, Daoud Barakat, Antoun Gemayel, Amin Bustani, tous intellectuels maronites établis au Caire — qu’il faut jouer).

C’est pendant les guerres balkaniques que se joue l’alliance entre les décentralisateurs et le comité libanais des réformes sur une plateforme commune. Cette plateforme est constituée pour réunir les revendications des différentes communautés : il s’agit essentiellement d’une autonomie administrative des provinces, le droit d’établir le budget, de disposer de certaines recettes, de nommer les juges et les fonctionnaires, la reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle, l’obligation d’enseigner l’arabe dans les écoles, la liberté d’enseignement. À cet ensemble il faut ajouter l’invention d’une première forme de gouvernement confessionnel avec des représentants de l’ensemble des communautés dans les municipalités (ainsi, à Beyrouth, 83 membres dont 42 musulmans, 39 chrétiens, 2 «  israélites  »). Le programme des réformes est adopté par ces 83 membres en janvier 1913.

LES PENDUS DE 1915-1916

Dans ce contexte, l’entrée en guerre de l’Empire ne se fait pas sans tensions. Mais la loyauté vis-à-vis de la Porte ne semble pas se fissurer réellement avant 1915-1916. Elle se cristallise autour de la figure du gouverneur de Syrie, Jamal Pacha, surnommé depuis «  le boucher  », qui apparaît non seulement comme le bourreau des nationalistes arabes, mais aussi comme une figure du traître. Personnage d’abord plutôt respecté par les hommes de lettres et les notables de la région à cause de son rôle dans la révolution de 1908 et de sa personnalité exceptionnelle, il devient au cours de la guerre un bourreau sanguinaire.

Il est responsable d’un des épisodes les plus marquants des violences de guerre dans la région : la pendaison publique de personnes suspectées de trahison vis-à-vis de l’Empire en 1915 et 1916. Ce sont des militants, des hommes de lettres, des prêtres parfois qui sont d’abord enfermés dans la prison de Aley (Mont-Liban) puis exhibés sur les places centrales de Beyrouth (place de l’Union) et de Damas (place Marjé) pour être exécutés avec autour du cou une affiche explicitant le chef d’inculpation de haute trahison. Nombreux sont les textes qui évoquent cet épisode traumatisant, comme le poème de Shukri Ghanem, au sujet de la pendaison du père maronite Joseph Hayek :


(…) D’autres sont morts, depuis. La potence égalise.
Mariniers du vieux port, anciens chefs du Liban,
Vieux cheikhs à turban vert, druzes à turban blanc
Voisinent dans la mort avec des gens d’église
Et tous, quelle que fût leur origine, tous,
À l’exemple du prêtre ont, d’une âme commune,
Faisant de la potence infâme une tribune,
Aux uns crié leur foi, aux autres leur dégoût

Correspondance d’Orient, n° 214, avril 1919, in Écrits Politiques. — p. 185-187.

Rétrospectivement, tous insistent sur le rôle unificateur de cette répression. Autour des martyrs naît la conscience d’une nation, d’une appartenance commune. Et, comme l’écrit l’essayiste Amin Al-Rihani, «  Le Syrien est aujourd’hui un seul homme, et les potences elles-mêmes le disent. Car Libanais, Damascène, Beyrouthin, Alépin, Palestinien, musulman, druze, chrétien, juif ne sont que des prénoms. Le nom de famille, notre famille, c’est la Syrie  »4.

C’est ce qu’exprime également Abd Al-Rahman Shahbandar, nationaliste syrien au sujet de Salim al-Jazairi, officier de l’armée ottomane pendu pour haute trahison : «  le grand officier qui avait, en 1908, fustigé l’association des frères arabes [pour leur infidélité à l’Empire] s’en est allé vers les potences dressées par le bourreau Ahmad Jamal Pacha pour les grands hommes arabes, le 6 mai 1916. C’est ce retournement qui m’a ouvert les yeux sur le danger que courrait la patrie arabe. Alors nous prîmes cette voie nationale nouvelle  »5.

SURVIVRE EN TEMPS DE FAMINE

Le deuxième élément déterminant du tournant de 1915-1916 est l’aggravation des conditions de subsistance dans la région et les politiques de réquisition de l’armée ottomane. Si les élites sont terrorisées par la politique de répression de Jamal «  le boucher  », sa réputation est confortée par la famine qui s’abat, notamment sur le Mont-Liban, et dont il est jugé responsable. Les bruits qui circulent sont nombreux et les agents de renseignement dépêchés par le père dominicain Antonin Jaussen, responsable du renseignement français dans la région pendant la guerre, s’en font régulièrement l’écho.

Ainsi, à propos de Jérusalem en décembre 1915, on peut lire les préoccupations principales de la population : vie chère, pénuries, réquisitions.

La population, privée de tous les travailleurs, est réduite à la misère. Les denrées sont chères, par exemple :
L’oque de sucre coûte 7 piastres
L’oque de pétrole coûte 4 piastres
Le rotal de farine coûte 7 à 8 piastres
On ne trouve plus de café, plus de riz

Plusieurs personnes sont mortes de faim. Le patriarche grec-orthodoxe fait distribuer aux indigents de sa religion, y compris les religieuses et les pèlerines ruses, un pain par jour et par tête. Les autres chefs des communautés religieuses tiennent la même conduite. Le gouvernement a été dur pour les fellah (paysans) qui ont été exploités et volés sans pitié par les militaires. Pendant le courant de l’année, jusqu’au départ des Allemands, les juifs, d’après les témoins, ont souffert des avanies inouïes, telles que jamais on ne pourra les décrire, dit un témoin.

Rapport du 3 décembre 1915, Vincennes, Archives de la Marine, SS Marine Q 85.

La question de la conscription est aussi au centre des préoccupations, comme elle l’était avant guerre pour les représentants des communautés non musulmanes. En effet, la modernisation de l’Empire consécutive au rétablissement de la Constitution en 1908 passait par l’établissement de la conscription pour tous, mettant fin au principe de protection des minorités non musulmanes. C’est alors l’une des principales revendications des chrétiens que de maintenir cette exemption.

Voici ce qu’écrit le père Jaussen en décembre 1915 :

La population est calme, résignée, mais attend avec angoisse l’heure de sa délivrance. Il avait été question, il y a plusieurs mois, d’enrôler tous les Libanais en âge de porter les armes. Cette idée a été abandonnée à la suite de l’entrevue entre le patriarche maronite et Jamal Pacha. Aucun Libanais n’a jusqu’à présent été enrôlé. La milice libanaise subsiste et est toujours composée de volontaires, mais elle est maintenant commandée par un officier turc6.

La fin de l’année 1915 marque un seuil. Les agents de renseignement français notent que «  la population arabe musulmane serait, aussi bien que la population chrétienne, excédée du régime turc ainsi que des vexations et des réquisitions qu’elle subit depuis plus d’une année : elle accueillerait en libérateurs les premiers étrangers qui se présenteraient  »7. C’est à cette date qu’apparaissent les première mentions d’une politique systématique de la faim, utilisée notamment au Mont-Liban (Kesrouan et région de Jbeil-Byblos notamment) contre les populations chrétiennes. Les agents de renseignement décrivent alors : «  leur but serait de tenir ainsi la population à leur merci et de pouvoir l’affamer au premier danger en laissant à l’ennemi, dans le cas d’un débarquement, la charge de la nourrir  »8 et ils détaillent un plan qui consiste à bloquer les approvisionnements, à opérer des fouilles sur tous ceux qui passent de Beyrouth à la montagne pour vérifier qu’ils n’emportent pas des provisions (le pain coûte quatre fois plus cher à la montagne qu’en ville), à interdire la pêche. On peut lire dans ce rapport sur la situation du Liban un certain nombre de récits.

(…) Toutes ces mesures vexatoires contre les Libanais sont le résultat d’un plan tracé d’avance et avoué d’une façon brutale par Enver Pacha lors de sa venue à Aley. «  Le Gouvernement ottoman  », a dit ce despote, «  ne peut acquérir sa liberté et son honneur qu’après avoir nettoyé l’Empire turc des Arméniens et des Libanais. Nous avons détruit les Arméniens par le glaive, nous détruirons les Libanais par la faim  ». Jamal Pacha se trouvait avec Enver Pacha quand celui-ci prononça cette fameuse parole. (…) On estime que 80 000 personnes sont mortes de faim au Liban et à ses frontières depuis le mois de janvier dernier9.

LA GRANDE RÉVOLTE

L’ensemble de ces facteurs, de la répression à la famine, détermine largement le ralliement d’une frange des nationalistes arabes à la révolte lancée par le chérif Hussein de la Mecque avec l’aide des Britanniques. Si le Congrès de 1913 peut être considéré comme un moment fondateur du nationalisme arabe, la révolte de 1916 en est la première bataille réelle. Les combattants s’agrègent peu à peu autour d’un appel à l’indépendance des peuples et tribus arabes sous le joug ottoman. Ces combattants sont soutenus par un encadrement britannique (le célèbre colonel Thomas Edward Lawrence — «  Lawrence d’Arabie  » — et, depuis l’Égypte, le général Edmund Allenby et ses troupes), ils rallient peu à peu des combattants druzes, s’adjoignent des volontaires arméniens rescapés des massacres en Anatolie, et des déserteurs. C’est cet ensemble hétéroclite qui progresse peu à peu dans la région, du sud au nord, parti de la Mecque et parcourant le désert en ralliant des tribus bédouines pour conquérir peu à peu les villes et s’installer à Damas en septembre 1918 pour y fonder le Royaume arabe. De 1916 à 1920, on invente une armée, mais aussi un drapeau, une tenue, un hymne pour donner une unité à tous ces combattants.

L’orientaliste Louis Massignon, alors sous-lieutenant chargé de rendre compte de la situation en octobre 1917 découvre que «  (…) ce sentiment national, indépendant de toute considération de confession, a choisi pour hymne un poème de Refik Rizk Salloum, chrétien arabe de Hama, pendu par les Turcs en 1915, qui commence ainsi : “nous ne nous plions pas à la honte, car nous sommes les fils de Kahtane”. Cet hymne, enseigné depuis deux mois aux troupes arabes d’Akaba, est chanté à la Légion depuis le 5 octobre  » 10. On choisit les quatre couleurs, noire, verte, blanche et rouge qui sont encore aujourd’hui présentes dans beaucoup des drapeaux de la région (Syrie, Jordanie, Irak, Palestine)11

Fayçal, fils du chérif Hussein est proclamé roi. À Damas, un gouvernement est formé. Cette expérience parlementaire arabe, menée pendant quelques mois (presque deux ans) en Syrie est fondatrice pour toute une génération d’hommes et de femmes engagés dans les affaires publiques. C’est là qu’ils font leurs premières armes et leurs premiers apprentissages politiques dans un cadre indépendant, malgré les pressions des forces européennes12.

Une «  période chérifienne  » s’ouvre dans la région avec l’arrivée des troupes britanniques du général Allenby et des troupes arabes dans Damas le 1er octobre 1918. Elle est menée par les combattants arabes, mais aussi par les notables locaux qui se sont saisis des pouvoirs municipaux pour les mettre au service de ce nouveau régime et tenter de contrer la mainmise des puissances européennes. Très vite, un certain nombre de questions sont débattues, comme celle des droits des femmes13, de la forme du gouvernement, de l’éducation arabe…Dans les villes du Proche-Orient, on s’habille pour un temps volontiers en hijazi, avec le keffieh pourtant jusque-là réservé aux ruraux et aux Bédouins et très largement méprisé par les notables urbains, plutôt couverts du tarbouche ou du chapeau. Dans les rues de Damas, on voit des «  étrangers  », palestiniens et irakiens, des jeunes gens idéalistes, liés au destin de Fayçal, qui le suivront par la suite en Irak14.

L’expérience prend fin avec le traité de San Remo et le départ du roi et d’une partie de son entourage pour l’Irak alors que la Syrie est confiée à la tutelle française.

Après l’expérience fondatrice du royaume arabe, les mandats français (Syrie, Liban) et britannique (Palestine, Irak) prennent place dans la région. Loin de reprendre les cadres de l’empire ottoman, les puissances mandataires installent leur domination sur une définition nationale étroite qui repose sur une vision de la région comme une mosaïque communautaire à l’intérieur de ces frontières. Le conflit mondial et les conférences de la paix sont le lieu de la fixation d’une telle vision de la région, faisant la place non seulement au tracé de nouvelles frontières mais aussi aux définitions identitaires et nationalistes des appartenances.

Dans la mémoire des événements, c’est le même privilège qui est accordé à la lecture nationaliste. Les places principales des villes de Beyrouth et de Damas ont été renommées depuis «  place des martyrs  » en mémoire des nationalistes pendus en 1915 et 1916. On a conservé les symboles élaborés pendant la révolte arabe, les couleurs des drapeaux et les différents éléments d’un nationalisme arabe à visée politique, même si les frontières nationales ont fini par prendre sens à travers les expériences politiques qui les ont investies15.

Une autre mémoire, plus traumatique, est également lisible. D’abord, la présence des Arméniens dans certaines villes comme Alep, Jérusalem ou Beyrouth, réfugiés après les massacres perpétrés par les Ottomans. Ensuite, le souvenir très souvent évoqué de la faim dans la montagne libanaise, de la peur des épidémies et des conditions de vie atroces de civils chrétiens. Cette histoire non héroïque reste à écrire, elle se transmet aujourd’hui à travers les récits familiaux et quelques textes littéraires, mais elle n’est pas inscrite sur les rues et ne figure pas dans les hommages officiels.

1Massacres des chrétiens par les druzes, qui déboucheront sur une expédition française.

2Elle met aux prises l’empire et l’Italie en 1911-1912 et aboutit à une victoire de Rome.

3D’après le rapport qu’il signe lui-même, il serait «  chrétien grec catholique, originaire de Beyrouth, habitant le Caire, courtier à la bourse de marchandises, délégué par le comité des réformes auprès des autorités navales française, devant agir en Syrie  ». Renseignements fournis par Nasser (Le Caire, 25 mars 1916), Vincennes, archives de la Marine, SSQ 78.

4Amin Al-Rihani, «  Al-Hayat wa-l-hurriyya wa-l-sayf  » (La vie, la liberté et le glaive), prononcé à New York en 1917, in al-Qawmiyyat. — p. 122-131.

5Abd al-Rahman Shahbandar, «  Ahammu Hadith athara fi majra hayati  » (L’événement qui a déterminé le cours de ma vie), Al-Maqâlât (Articles), Damas, 1993. —p. 137.

6Rapport inséré dans une lettre du 8 décembre 1915, de «  M. A. Defrance, Ministre de France en Égypte, à son excellence Monsieur A. Briand, Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères à Paris.  » Vincennes, Archives de la Marine, SSQ 78.

7Note n° 33 de Saint-Quentin, ministère des affaires étrangères, A Paix, 174, 84 et suivantes.

8Ibid.

9Ibid.

10«  Le sous-lieutenant Massignon à Gaston Maugras, adjoint au Commissaire de la République dans les territoires occupés de Palestine et de Syrie  », 26 octobre 1917. Carton 2367, archives MAE, Nantes.

11Pierre Rondot, présent ce jour-là, écrira des années plus tard : «  Le nouveau mouvement national a dès lors un drapeau, qui juxtapose les couleurs arabes : le vert du Prophète et des premiers califes, le blanc des Omeyyades, le noir des Abbassides, le rouge des Hachémites  ; en les associant de façon différente, les divers États arabes pourront d’ailleurs, dans l’avenir, maintenir des pavillons particuliers tout en affirmant une unité sentimentale. À cette ambiguïté, imprévisible à l’époque, s’en ajoute dès l’origine une autre plus grave : ce drapeau arabe est l’œuvre d’un diplomate britannique, bon historien de l’Orient, sir Mark Sykes, qui, au moment où il crée ce symbole unitaire, négocie avec les alliés de son pays le partage des terres arabes  » ( Destin du Proche-Orient, Paris, 1959.

12Leila Dakhli, Une génération d’intellectuels arabes. Syrie et Liban, 1908-1940, Paris, éditions Karthala-IISMM, 2009  ; Matthieu Rey, «  Un parlementarisme oriental  ? Éléments pour une histoire des assemblées au Moyen-Orient des années 1850 aux années 1970  », Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2012/1 n° 17, p. 162-176.

13Elizabeth Thompson, Colonial Citizens. Republican Rights, Paternal Privilege and Gender in French Syria and Lebanon, New York, Columbia University Press, 2000.

14Terme utilisé par Muhammad Kurd Ali dans ses mémoires, Mudhakkarat,vol. 1. — p. 232  ; il désigne les fondateurs du mouvement al-Fatat, Muhammad Rustum Haydar, Auni Abd al-Hadi, Ahmad Qadri, et des cadres de l’armée.

15Matthieu Rey, «  Le parlementarisme en Irak et en Syrie, entre 1946 et 1963 : un temps de pluralisme au Moyen-Orient  », thèse de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris, 2013.

 


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8 novembre 2014 6 08 /11 /novembre /2014 01:54
Battir en Palestine: une aventure cartographique hors norme

05 NOVEMBRE 2014 |  PAR LA REVUE DU PROJET

Un projet de valorisation du territoire et des modes de vie qui permet aux citoyens du village de Battir de mettre en œuvre un ensemble de réponses constructives à ce qui les menace dangereusement. Par Jasmine Desclaux-Salachas et Hervé Quinquenel.

 

 

Les esprits et les volontés se sont associés à la force des mains durant des millénaires afin d’entretenir si parfaitement leurs terres… Quatre à cinq mille ans de maintenance dans les vallées, où aujourd’hui encore les plus jeunes relayent les anciens, une génération succédant à une autre depuis toujours pour que chaque geste utile, chaque forme, chaque ouvrage nécessaire se fondent harmonieusement au fil des saisons dans le paysage. Nous sommes dans les vallées de Battir, à cinq kilomètres à l’ouest de Bethléem, sur la ligne verte d’armistice de 1949, dans le village de Palestine qui vient de rejoindre la liste des sites du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco.

 

Une Palestine dont on ne nous parle pas
Ici, chaque courbe, chaque perspective a un sens… Terrasses étagées de jardins en vergers, champs d’oliviers, pentes et méandres irrigués par des systèmes de canaux issus de l’ingénierie hydraulique conçue à l’époque antique – de chaque strate émane l’intelligence humaine que restituent tous les parfums exhalés au gré des pas.
Rien n’est là par hasard dans ces paysages apaisants : il y a là une Palestine dont on ne nous parle pas, qui a toujours voulu signifier l’avenir de paix chez soi et qui vit ses heures de citoyenneté, à portée de nos regards pourtant, qu’il est indispensable de lui réserver.

Des regards sur tant de choses… des chants, des sourires, des danses, du parlé de cette langue musicale qu’est l’arabe de cet Orient lumineux… aux couleurs des Lumières ! Celles du jour, celles de la nuit… Partout les saveurs de toutes choses et mets, et des rencontres à n’en plus finir de celles et ceux, qui, jour après jour retiennent un quotidien qu’une armée étrangère omniprésente, protégée par consensus international, ne cherche qu’à leur confisquer.

C’est là pourtant, que des citoyens responsables sont parvenus à mettre en œuvre, durant quatre années, une étude socioanthropologique d’un genre inédit : ce que l’Institution ne fait pas… mesurer, relever la topographie du territoire, réaliser des séries de cartes afin de comprendre – dessiner pour comprendre et faire comprendre – pour se saisir de l’histoire, de la géographie, du sens de l’entretien de ces paysages, y combiner les liens de l’homme à sa terre, du passé au futur… comprendre, pour partager au présent.


 

Décrire le territoire pour le comprendre

 
À partir d’une rencontre à l’écomusée de Battir en Mai 2012 s’est déployée une aventure cartographique hors norme, depuis l’atelier des Cafés cartographiques à l’École nationale des sciences géographiques -Institut géographique national (ENSG-IGN). En particulier, deux années d’échanges et de partages ont permis l’ouverture de nouveaux programmes d’étude et de recherche ; deux séjours de relevés ont eu pour objectif de produire des modélisations de l’aqueduc antique (Sylvain Gonnet, géomètre, août-septembre 2013 ), de mettre les cartes à jour (Hervé Quinquenel, Jasmine D. Salachas, avril-mai 2014) – et à chaque fois, en priorité, de restituer au conseil du village et aux villageois de Battir ces travaux issus des cartes qui leur appartiennent, produits depuis Paris au fil des mois.

Outre l’intérêt collectif et collaboratif de ces travaux, la richesse des thématiques abordées, leur force et l’impact de leur diffusion, il y a derrière ces cartes des enjeux moins familiers pour nous, mais essentiels pour les villageois de Battir : la menace des projets de prolongation de mur de séparation voulus par Israël qui provoqueraient des dommages irréversibles au patrimoine historique et paysager remarquable, menaçant toute perspective d’avenir.

Prenant le contre-pied d’une vision extérieure habituellement déformée sur cette région du monde, c’est un projet global et cohérent de valorisation de leur territoire et de leurs modes de vie que les citoyens de Battir ont pu mettre en œuvre afin d’offrir un ensemble de réponses constructives à ce qui les menace dangereusement… une étude socioanthropologique et paysagère menée sur place de 2007 à 2011, par une équipe scientifique - coordonnée par Giovanni Fontana Antonelli (Unesco, bureau de Ramallah), dirigée par Samir Harb, Mohammed Hammash, Mohammad Abu Hammad (tous quatre architectes urbanistes), Hassan Muamer (ingénieur civil), Claudia Cancellotti, Patrizia Cirino, Nicola Perugini (anthropologues) – un travail inouï tant le volume de données considérées est complet, précis, élaboré… plus de 10 km2 topographiés, cartographiés, inscrits désormais dans un ensemble d’actions visant à la protection pérenne du site.

L’écomusée a d’abord vu le jour, puis la réhabilitation des ruelles et des maisons du cœur historique du village a suivi. Plus tard, courant 2012, Hassan Muamer (seul Battiri à avoir participé à cette étude), a dirigé les travaux de restauration des vallées et de réaménagement des sentiers de randonnées – supervisé les travaux d’aménagement de la Guest House, offrant un ensemble de chambres d’hôtes aux visiteurs et groupes de volontaires aidant ponctuellement à l’entretien des lieux.

 

 

La reconnaissance
d’une histoire puissante

 
Battir, de fait, s’est offert un ensemble d’outils pour décrire le territoire afin de le comprendre : des cartes pour en communiquer la valeur… du territoire à sa représentation, aujourd’hui jeu de construction graphique à vocation pédagogique, participative, citoyenne que nous nous efforçons de transmettre.

Ces outils, rectifiés sur l’orthophotographie de l’ensemble de la Palestine, afin d’en étendre, pourquoi pas, la production au-delà de Battir même, vers les villages avoisinants, ne suffiront pas à eux seuls à résoudre miraculeusement les maux de la région.

Mais nous espérons que ces démarches citoyennes puissent contribuer à tisser de nouveaux liens entre nos territoires, celles et ceux qui y vivent et nous tous qui les partageons. Par la découverte des paysages fantastiques, la reconnaissance de leur histoire puissante, le regard attentif et complice à l’égard des personnes qui l’ont construite… par la diffusion des connaissances, illustrée ici par la cartographie, nous ne pouvons qu’espérer contribuer à l’addition de moyens réalistes pour envisager un avenir apaisé, durable.  

*Jasmine Desclaux-Salachas est cartographe. Elle dirige les Cafés cartographiques (et alimente un blog sur Mediapart).

Hervé Quinquenel est cartographe. Il est ingénieur des tavaux géographiques et cartographiques de l’État à l’ENSG-IGN.

La Revue du projet, n° 40, octobre 2014

 

 

http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/051114/battir-en-palestine-une-aventure-cartographique-hors-norme

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7 novembre 2014 5 07 /11 /novembre /2014 01:54
Les Frères musulmans au Maghreb

DES ORGANISATIONS RÉCENTES

ORIENT XXI MAGAZINE LES FRÈRES MUSULMANS LA RÉDACTION > 4 NOVEMBRE 2014

 

 

Les Frères musulmans se sont implantés au Maghreb de manière plus tardive qu’au Proche-Orient, souvent après la seconde guerre mondiale et les indépendances. Mais ils se sont enracinés et représentent une force importante dans le jeu politique.

Abdelilah Benkirane, dirigeant du PJD, chef du gouvernement marocain, au Parlement.
Archive Yabiladi, DR.
ALGÉRIE : UNE PARTICIPATION AU GOUVERNEMENT QUI A COÛTÉ CHER

Les Frères musulmans ont toujours été minoritaires dans le mouvement islamiste algérien. En 1989, le Front islamique du salut (FIS), dominé par les salafistes djihadistes, gagne les élections municipales et s’impose dans tout le pays. La même année, Mahmoud Nanah lance le Hamas, devenu par la suite le Mouvement pour la paix et le salut (MSP), qui reste très minoritaire malgré ses liens avec les Frères musulmans égyptiens. Ce n’est qu’après l’échec du FIS et la guerre civile qui suit l’interruption des élections législatives de janvier 1992 que le MSPs’implante quelque peu chez les commerçants et dans le centre du pays. À partir de 1999, il participe avec deux partis nationalistes à l’alliance présidentielle qui appuie Abdelaziz Bouteflika, ce qui lui vaut d’occuper des portefeuilles ministériels et d’enrichir nombre de ses amis. Après le Printemps arabe, le MSP quitte le gouvernement et boycotte l’élection présidentielle du 17 avril 2014. Sa participation ministérielle lui aura coûté cher : il existe en Algérie pas moins de sept partis islamistes, sans compter les salafistes qui s’affichent de plus en plus ouvertement et s’attirent la vindicte du nouveau ministre des affaires religieuses.

Les Frères musulmans tentent de surmonter leurs divisions. Ils se regroupent dans une Alliance verte aux élections législatives de 2013 dont ils attendaient beaucoup à la suite des victoires électorales d’Ennahda en Tunisie et des Frères musulmans en Égypte. Leurs sortants sont renvoyés par le corps électoral. Leur choix de l’opposition est durement sanctionné mais ne les a pas fait changer de ligne. Actuellement, ils participent à une tentative de regroupement de toute l’opposition (sauf le Front des forces socialistes d’Hocine Aït Ahmed resté à l’écart) pour réclamer une transition démocratique et l’établissement des libertés fondamentales.

LIBYE : UNE FAIBLE LÉGITIMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE

Clandestine sous le régime du colonel Mouammar Kadhafi, la confrérie des Frères musulmans n’a pas joué un rôle décisif dans le déclenchement et la conduite de l’insurrection de février 2011 qui a conduit à la chute du régime. Leur parti politique créé le 23 mai 2012 a été baptisé «  Parti de la justice et de l’édification  »(hizb Al-adala wal bina) et a obtenu rapidement par le jeu des alliances la majorité au Conseil national général élu le 7 juillet 2012. Aucun de ses membres dirigeants n’a combattu dans les rangs des brigades insurgées en 2011 ou occupé de fonctions au sein du Conseil national de transition pendant ou après la guerre civile de 2011. Ils disposent par conséquent d’une faible légitimité «  révolutionnaire  » en comparaison des puissants chefs de katibas insurgées, et n’ont que peu de poids sur l’action de celles-ci. Officiellement partisans d’une solution politique, ils refusent de soutenir officiellement l’une ou l’autre des milices combattantes dans la guerre qui oppose partisans et opposants du général Khalifa Haftar depuis mai 2014 tout en désignant clairement ce dernier comme un putschiste contre-révolutionnaire responsable de la crise actuelle.

Dans le contexte actuel de militarisation générale du pays, le parti des Frères musulmans dispose d’un poids politique faible et risque de se voir dépassé à l’avenir par le courant des «  salafistes nationalistes  » dont se réclament nombre de chefs de brigades combattantes.

MAROC : AU GOUVERNEMENT SOUS L’ŒIL DU ROI

Depuis 2011, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), gouvernent le Maroc. Son chef, Abdelilah Benkirane, 59 ans, a été membre dans sa jeunesse du Chabiba islamiyya, le premier groupuscule islamiste apparu au Maroc au début des années 1970. Mouvement radical, violent et clandestin, le Chabiba islamiyya a trempé dans l’assassinat en 1975 d’Omar Benjelloun, un leader de la gauche. Après le limogeage d’Abdelkarim Moti, fondateur du mouvement, Benkirane crée en 1982 la Jamaa al-islamiyya à l’issue d’une autocritique sans concession où il répudie le recours à la violence et prône le respect des bonnes mœurs et l’accomplissement des obligations religieuses. Dix ans plus tard, proche du leader tunisien d’Ennahda Rached Ghannouchi, il fonde le Parti du renouveau national pour se lancer dans la bataille électorale. Échec : le Palais refuse. En 1999, Benkirane et ses amis du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR) rejoignent le moribond Mouvement populaire constitutionnel et démocratique (MPCD) du docteur Abdelkrim Al-Khatib, un cacique monarchiste fidèle à la dynastie alaouite. C’est le prix à payer pour être autorisé à concourir… Sa première tentative aux élections législatives de 2007 est volontairement limitée, le MPCD présente seulement 55 candidats et est absent dans 36 circonscriptions électorales. Il arrive en seconde position loin derrière l’Istiqlal.

Le 20 février 2011, de grandes manifestations éclatent dans plusieurs grandes villes aux cris de «  À bas la dictature  ». Après la Tunisie et l’Égypte, le Printemps arabe débarque dans le royaume. Benkirane et les siens brillent par leur absence de la rue, laquelle est emmenée par une nouvelle organisation, le Mouvement du 20 février, qui regroupe surtout de jeunes citadins hostiles aux partis «  officiels  » comme aux islamistes plus radicaux rassemblés depuis 1980 autour du Al-Adl wal-Ihsane (Justice et spiritualité), fondé par le cheikh Abdessalam Yassine. Aux élections législatives de novembre 2011, le PJD arrive en tête avec 107 sièges mais reste minoritaire. Son gouvernement de coalition partage inégalement le pouvoir avec le Palais.

MAURITANIE : UNE RENAISSANCE

La version locale de la confrérie, le Rassemblement national pour la réforme et le développement (RNRD), plus connu sous le nom de Tawassoul, a participé pour la première fois à des élections législatives et municipales en décembre 2013. Tawassoul est ainsi devenu la deuxième force politique du pays derrière le parti du président Mohamed Ould Abdel Aziz, l’Union pour la république (UPR), en remportant 16 sièges sur 147 à l’Assemblée et 18 communes sur 218. Mais ce succès n’a été obtenu que par défaut, et au prix de la séparation de Tawassoul d’avec la Coordination de l’opposition démocratique (COD) dont les dix autres partis membres avaient décidé de boycotter les élections.

Le parti Tawassoul est né le 5 août 2007. Il a été légalisé en 2008 sous le mandat du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi (2007-2008), un civil, homme ouvert, pieux et descendant d’une chefferie religieuse soufie. Après de nombreuses années de persécution, les islamistes participent au pouvoir avec deux ministres. Mais le président est rapidement renversé par le général Mohamed Ould Abdelaziz, le président actuel, légitimé par les urnes une première fois en juillet 2009 puis réélu le 21 juin 2014.

Le deuxième congrès du parti a réélu en juillet 2014 Jémil Ould Mansour, un réformiste, en présence de Rached Ghannouchi, président du parti islamiste tunisien Ennahda.

Tawassoul semble avoir réussi son implantation dans le pays, particulièrement chez les jeunes et les femmes, notamment parce qu’il développe un discours centré sur la justice sociale. Mais aussi parce qu’il maîtrise la communication en arabe et en français, avec le site d’information continue Alakhbar.info, le groupe de presse Essirage et dernièrement la chaîne de télévision Al-Mourabitoune qu’il a créée.

TUNISIE : L’ÉPREUVE DU POUVOIR

En 1970, Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou réunissent les premiers noyaux du Mouvement islamique tunisien (MTI) et rassemblent en public une centaine de personnes en 1973 à Sousse. La répression s’abat et le parti entre alors dans la clandestinité. En 1979, après la révolution iranienne, le Mouvement de la tendance islamique (Ittijah islami) tient son premier congrès, s’implante dans le pays et coopère avec d’autres opposants. En 1987, un millier de militants sont arrêtés pour appartenance à une organisation illégale. Zine El-Abidine Ben Ali arrive au pouvoir, ouvre un dialogue avec les prisonniers et les libère. Mais dès 1991-1992, la répression est de retour  ; elle durera jusqu’en 2009-2010. Le MTI, devenu Ennahda, ne joue aucun rôle dans la chute de Ben Ali en janvier 2011 mais gagne la même année les élections d’octobre et forme un gouvernement de coalition qu’il domine. Sa mauvaise gestion de l’État, de l’économie et de l’ordre public suscite des oppositions de plus en plus fortes qui l’obligent à se retirer fin 2013 au profit d’un cabinet de technocrates. Ennahda ne gagne pas les élections législatives du 26 octobre 2014 mais limite les dégâts. Dans l’Assemblée constituante sortante, si ses députés occupaient 41 % des sièges, ils sont tombés à 30 %. Aucune majorité n’était possible hier sans eux compte tenu des divisions de leurs adversaires, c’est moins le cas aujourd’hui.

Ghannouchi, l’une des personnalités de premier plan à l’international, a été le défenseur d’une ligne «  modérée  », partisan d’un compromis avec les forces non islamistes, très critique à l’égard de la stratégie des Frères musulmans égyptiens. Il se dit prêt à abandonner l’exercice quotidien du pouvoir à d’autres à condition de contrôler le pouvoir législatif et la genèse des lois, notamment sociétales dans le but non dissimulé d’islamiser la Tunisie «  par le bas  ». Reste à savoir si ses députés accepteront les mesures «  profanes  » d’ordre économique et financier qui risquent d’être douloureuses pour la majorité de la population si le prochain gouvernement veut remplir les obligations souscrites auprès du Fonds monétaire international en avril 2013 par un premier ministre nadhaoui.

 

http://orientxxi.info/magazine/les-freres-musulmans-au-maghreb,0721

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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 01:58
Reconnaître la Palestine

Saeb Erekat, Membre du Comité exé­cutif de l’OLP, et Chef du Dépar­tement des Négo­cia­tions de l’OLP, vendredi 31 octobre 2014

La recon­nais­sance de l’État de Palestine dans les fron­tières de 1967est une étape morale qui devrait être franchie par l’ensemble des États qui sou­tiennent la solution de deux États. C’est un inves­tis­sement pour la paix, et le bon message à adresser aux Israé­liens comme aux Pales­ti­niens. Pour Israël, la force occu­pante, cette recon­nais­sance serait un signal fort indi­quant que sa poli­tique illégale de colo­ni­sation est nulle et non avenue. Elle le serait d’autant plus qu’Israël n’a pas le droit d’opposer son véto au recou­vrement par le peuple pales­tinien de ses droits inalié­nables à la liberté et l’indépendance. Pour les Pales­ti­niens, une telle recon­nais­sance serait une réaf­fir­mation de leur droit à l’autodétermination et un pas dans la bonne direction, ainsi qu’une preuve que la diplo­matie et le droit inter­na­tional sont la voie à suivre. Enfin, cela confir­merait que la com­mu­nauté inter­na­tionale restera du côté de ceux qui res­pectent ses lois et ses principes.

Ceux qui s’opposent à notre appel à une recon­nais­sance inter­na­tionale subor­donnent notre droit à l’autodétermination à un choix israélien. Ils occultent ainsi le fait que notre indé­pen­dance n’a jamais figuré parmi les sujets du statut final qui, eux, devraient être traités avec les Israé­liens. Il s’agit d’un droit sou­verain dont dis­posent tous les peuples, en conformité avec le droit inter­na­tional. Notre droit à un État n’est pas négo­ciable. Nous refusons de continuer à être l’exception des normes inter­na­tio­nales, tandis que cer­taines parties de la com­mu­nauté inter­na­tionale per­sistent à dis­si­muler leur res­pon­sa­bilité der­rière les appels à la reprise des négo­cia­tions. Cependant, nous réaf­firmons fer­mement qu’il ne s’agit pas de contourner les négo­cia­tions en vue d’un accord du statut final.

À l’instar de tout autre conflit, notamment la fin de l’apartheid Sud-​​Africain, les négo­cia­tions sont néces­saires pour régir les rela­tions entre Israël et la Palestine, au len­demain de la fin de l’occupation. De telles négo­cia­tions devraient aborder tous les sujets du statut final, y compris les refugiés, Jéru­salem, les colonies, les fron­tières, la sécurité, l’eau et les prisonniers.

En 1988, l’OLP avait fait le dou­loureux com­promis his­to­rique d’une recon­nais­sance d’Israël sur les fron­tières de 1967, concédant ainsi 78% de la Palestine his­to­rique. Cette démarche enthou­siasma l’Europe, qui n’avait eu de cesse de répéter qu’elle abou­tirait, "en quelques années, à une paix, avec l’indépendance de la Palestine. Cependant, notre droit légitime tant attendu paraît aujourd’hui plus dif­ficile encore à mettre en appli­cation au vu de l’accroissement du nombre de colons israé­liens, qui a plus que triplé durant les 26 der­nières années. La culture de l’impunité maintes fois garantie à Israël a facilité ce processus.

L’accord d’association passé entre l’Union Euro­péenne et Israël peut lui-​​même être trans­gressé au gré des vio­la­tions des droits de l’homme, sans qu’aucune sanction effective ne soit prise à l’égard d’Israël. Après avoir condamné pendant des décennies l’expansion des colonies israé­liennes, nombre de gou­ver­ne­ments euro­péens ont alerté sur la pro­bable dis­pa­rition de la solution de deux États. Les seuls appels à une reprise des négo­cia­tions ne sau­raient trans­former la situation actuelle : alors qu’un système d’apartheid est imposé à des mil­lions de Pales­ti­niens, l’horizon poli­tique continue de dépérir.

Alors que des mil­lions d’Européens conti­nuent à témoigner, depuis des années, leur soli­darité envers la Palestine, beaucoup d’entre eux nous disent leur désespoir face au fait que la Palestine continue, jusqu’à nos jours, de payer pour les erreurs poli­tiques de l’Occident dans notre région. Ce sont ces mêmes poli­tiques qui ont octroyé à Israël une culture d’impunité sans pré­cédent. Des cen­taines de mil­liers de citoyens ont appelé, dans les rues d’Europe, à une justice pour la Palestine. Des délé­ga­tions euro­péennes de toutes confes­sions et de tous bords poli­tiques orga­nisent tous les ans des visites en Palestine, apportant ainsi leur soutien aux prin­cipes de justice et aux exi­gences de paix, parmi les­quels la recon­nais­sance de l’État de Palestine dans les fron­tières de 1967.

En recon­naissant la Palestine, et en apportant son soutien à notre ini­tiative qui vise à fixer une date limite à la fin de l’occupation, l’Europe n’encouragera pas les Pales­ti­niens à contourner les négo­cia­tions. Bien au contraire, elle adressera un message fort d’engagement en faveur du droit inter­na­tional et de la diplo­matie, comme seul moyen d’avancer. Elle témoi­gnera ainsi de son respect pour le droit du peuple pales­tinien à l’autodétermination. Afin de sauver la solution de deux États, une pre­mière étape serait effec­ti­vement de recon­naître deux États et non un seul.

À Ramallah, le 30 octobre 2014.

 

http://www.france-palestine.org/Reconnaitre-la-Palestine

version originale en anglais : http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.623382


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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 01:54
Tunisie : un pas de plus vers une démocratie effective ?


29 octobre  

Le point de vue de Béligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS


 

Quels sont les premiers enseignements que l’on peut tirer de ces élections législatives ?

Le premier scrutin libre et pluraliste de l’histoire de la Tunisie organisé en vue de l’élection de l’Assemblée nationale constituante, en octobre 2011, avait été remporté par Ennahda. Aujourd’hui, trois ans plus tard, les premières élections législatives post-révolutionnaires sont marquées par une défaite de ces mêmes islamistes. Preuve non seulement que la démocratie peut se conjuguer en arabe, mais que sa traduction n’aboutit pas forcément à la victoire d’islamistes. 

Outre sa signification symbolique, la portée de ces élections est historique : ce sont en effet les secondes élections libres et pluralistes organisées dans le pays depuis la révolution (ayant abouti à la chute de Ben Ali), et même depuis l’indépendance. 


Ce sont également les premières élections législatives organisées dans des conditions démocratiques et transparentes. 


Des élections dont la portée politique est plus importante que l’élection présidentielle qui aura lieu fin novembre. 

Lors de ces élections législatives, les Tunisiens ont élu les membres de l’Assemblée du Peuple – le Parlement tunisien est monocaméral, il est constitué d’une chambre unique -, dont procédera le futur gouvernement. Ces deux institutions formeront l’ossature du régime parlementaire prévu par la nouvelle Constitution adoptée en janvier 2014. 


On assiste donc à la naissance concomitante d’un nouveau régime politique et d’une nouvelle République. 


C’est un aboutissement d’ordre formel et institutionnel de la Révolution, qui reste à consolider, mais qui ne saurait être minoré. 


Il est également important de souligner que les normes en termes de transparence et de respect de la régularité des procédures électorales ont globalement été respectées, comme l’ont confirmé les observateurs internationaux présents sur place. Il s’agit donc d’un point positif pour le gouvernement et l’organisme indépendant qui étaient en charge de l’organisation de ces élections. 


Ce point est d’autant plus important qu’elles s’inscrivaient dans un contexte sécuritaire tendu, marqué notamment par des confrontations entre les forces de sécurité et des poches djihadistes, notamment autour de Tunis, et alors que des djihadistes se terrent toujours à la frontière algéro-tunisienne. 


On s’attendait également à un niveau de participation extrêmement faible du fait du sentiment de désenchantement qui habite les citoyens tunisiens. Celui-ci s’explique par le fait que les avancées démocratiques en matière de libertés politiques et de droits de l’homme n’ont pas été suivies par une amélioration de la situation économique et sociale du pays. Ce décalage nourrit une profonde frustration au sein de la population. 


L’équation « démocratie : développement économique » ne se vérifie pas. Pis, depuis la révolution, l’insécurité et l’instabilité économique (effondrement de secteurs comme le tourisme, forte inflation, ralentissement de la croissance) et sociale (grèves à répétition, revendications salariales désormais affichées et affirmées) nourrissent un (r)appel à la stabilité et à l’ordre. 


Le désenchantement est particulièrement aigu dans la jeunesse tunisienne, véritable force motrice de la révolution : elle s’est massivement abstenue à ces élections pour exprimer cette déception. 


Si le taux de participation est en recul par rapport à celui des premières élections de 2011, il s’est révélé moins catastrophique que prévu, s’élevant à près 60%. Il n’empêche, la défiance des citoyens à l’endroit de la classe politique est prégnante. 


Si l’ISIE n’a pas encore rendu de résultats officiels, on sait déjà que le parti arrivé en tête des élections est Nidaa Tounès, qui s’est toujours défini comme le principal parti anti-islamiste, Ennahda arrivant en seconde place. 


La victoire de Nidaa Tounès revêt une signification particulière. Il ne s’agit pas d’un vote d’adhésion, mais de l’expression du rejet des islamistes. Aussi, la logique du « vote utile » a joué à plein. Sous l’impulsion du charismatique Beji Caïd Essebsi, Nidaa Tounes a réussi à incarner l’alternative aux islamistes, sans proposer de programme politique clair et précis… 


Ce parti hétéroclite du point de vue de sa composition a pleinement profité de l’aura de son leader, Béji Caïd Essebsi. 


Ce dernier est en effet un personnage historique de la vie politique tunisienne car il a accompagné toutes les grandes pages de l’histoire du pays (de l’indépendance à aujourd’hui) : il a été partie prenante au régime de Bourguiba, a participé à la mise en place du régime benaliste et même exercé le poste de Premier Ministre pendant la première phase post-révolutionnaire. 


Il sera également candidat aux élections présidentielles qui se tiendront prochainement et en apparaît comme le grand favori. Malgré tout, son parti présente toutefois le « défaut » de s’être formé en opposition à Ennahda sans disposer d’un programme politique clair : avant d’être un parti laïc, comme on le présente souvent, c’est avant tout un parti anti-islamiste. 


Sa composition est en conséquence très hétéroclite : on y trouve des personnalités de gauche mais aussi des partisans du bouguibisme et également d’anciens collaborateurs du régime benaliste, ce qui pourrait fragiliser durablement cette structure partisane d’autant plus que ces derniers ne cessent de prendre de l’importance au sein du parti. Il existe un risque de le voir évoluer en parti d’une « contre-révolution de velours ». 


D’autant que la justice transitionnelle se fait toujours attendre. Celle-ci risque d’être plus délicate encore à mettre en œuvre vu que le parti au pouvoir compte dans ses rangs d’anciens collaborateurs du régime précédent. 

Comment expliquer le recul d’Ennahda ?

Ennahda observe un net recul par rapport à son score d’octobre 2011. Cette défaite électorale traduit un fait : le peuple tunisien tient les islamistes pour les principaux responsables de la mauvaise gestion de la période de transition et de l’état actuel du pays (combinant un certain désordre économique, social et sécuritaire auquel la population n’était pas accoutumée). L’exercice du pouvoir a affecté leur crédibilité politique. 


Malgré les concessions que les islamistes d’Ennahda ont su faire au sein de l’assemblée nationale constituante lors de la rédaction de la nouvelle constitution, la population leur a fait porter la responsabilité des crises qui ont emmaillées les travaux de l’ANC, sur fond de montée de la menace djihadiste. 


Il faut rappeler que Ennahda a d’abord opté pour le politique de la main tendue aux salafistes (regroupés au sein de Ansar Al-Charia), avant l’assassinat politique de MM. Belaïd et Brahimi, évènements qui vont provoquer finalement la fin de cette stratégie. 

Si ce rejet s’est exprimé y compris parmi ceux qui ont voté pour lui lors de l’élection de 2011, il ne doit cependant pas masquer l’existence d’un noyau dur électoral qui a confirmé son soutien au parti islamiste. 


Les islamistes paient leur gestion défaillante du pays pendant la période de transition. Le suffrage populaire a sanctionné une formation auteur d’une série d’erreurs politiques, qui a fait montre de limites manifestes dès lors qu’il s’agit de quitter la posture tribunicienne pour assumer l’exercice du pouvoir. 


Ce décalage a coûté le pouvoir aux Frères musulmans désormais bannis du jeu politique dans un régime qui a (re)basculé dans la dictature militaire. Ennahda demeure en vie, politiquement, et semble tirer les leçons de l’expérience des Frères musulmans égyptiens. 


Il faut ainsi saluer le réflexe du leader d’Ennahda, qui au soir du scrutin a reconnu la victoire de ses adversaires de Nidaa Tounes, coupant court à toute recrudescence de la tension politique dans le pays. 


L’émergence d’une démocratie est jugée aussi à l’aune du comportement des vaincus. Accepter le résultat du suffrage populaire, c’est accepter le jeu/principe démocratique. 


A noter enfin que le phénomène du « vote-sanction » a frappé également les deux partis de centre-gauche qui s’étaient alliés à Ennahda pendant la transition démocratique (ils formaient ensemble la faeuse « troika ») : le Congrès pour la République et Ettakatol. 


Ce sévère revers électoral vise par ricochet leur leader, respectivement président de la République (Moncef Marzouki) et président de l’ANC (Mustapha Ben Jaafar), également candidats à la prochaine élection présidentielle. 

Aucun parti ne disposant de la majorité absolue, que va-t-il maintenant se passer ? Une coalition Ennahda/Nidaa Tounès est-elle envisageable ?

La nouvelle constitution tunisienne prévoit que le parti arrivé en tête des élections législatives a la responsabilité de nommer le futur premier ministre. 


Cependant, avec le choix de privilégier un scrutin à la proportionnelle, il est quasiment impossible pour un parti de remporter seul plus de la moitié des sièges et d’obtenir la majorité absolue au Parlement. Émergent alors de nouvelles questions : avec qui et comment Nidaa Tounès va-t-il nouer des alliances en vue de gouverner ? 


La question est d’autant plus aigüe qu’Ennahda n’a jamais fermé la porte à la formation d’un gouvernement d’union nationale. Nidaa Tounès se retrouve ainsi face à deux options : former un gouvernement d’union nationale alliant les franges les plus diverses de la société (des islamistes aux anti-islamistes), en s’alliant à Ennahda, ou bien composer une coalition plus homogène ne comprenant pas le parti islamiste. 


Le choix est cornélien : d’un côté, les défis auxquels devra faire face le nouveau gouvernement milite pour une solution d’union nationale ; de l’autre, une telle solution - prônée d’ailleurs par Ennahda - risquerait de brouiller définitivement le nouvel échiquier politique tunisien : non seulement il n’y aurait pas d’alternance politique (malgré la défaite d’Ennahda), mais le gouvernement consensuel serait en décalage avec une société profondément divisée et dont une majorité a appelé à la sanction des islamistes. 



http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article10178

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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 02:00
Par Denis Sieffert 23 octobre 2014
Elias Sanbar : « Des Territoires palestiniens à un État reconnu »

Elias Sanbar analyse le changement de stratégie de l’Autorité palestinienne dans un contexte nouveau qu’il juge favorable.

 

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AFP /​ Ahmad Gharabli

La 69e Assemblée générale des Nations unies a inscrit à son ordre du jour la sem­pi­ter­nelle question pales­ti­nienne. Le débat s’est ouvert mardi. Au bout du chemin, le Conseil de sécurité aura à se pro­noncer sur un projet de réso­lution pré­senté par Mahmoud Abbas, le pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne. Ce n’est pas la pre­mière fois, et beaucoup d’espoirs et d’illusions ont déjà été déçus. Mais Elias Sanbar, ana­lyste et his­torien de cette si longue his­toire, auteur de nom­breux ouvrages, estime que les condi­tions sont cette fois dif­fé­rentes. Il nous dit pourquoi.

Qu’attendez-vous de nouveau de cette assemblée ?

Elias Sanbar : La tenue de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité n’est qu’une étape dans ce que l’on peut qua­lifier de nou­velle approche dans la recherche d’une solution conduisant à l’établissement d’un État pales­tinien sou­verain et indé­pendant. L’idée fon­da­mentale a été d’inverser la pro­cédure. Jusque-​​là, et en un quart de siècle de négo­cia­tions, nous n’avons rien obtenu d’autre qu’un sup­plément de colo­ni­sation. Le point fon­da­mental de la para­lysie est de nature pro­cé­durale. C’est l’idée qu’il devait y avoir un premier accord, puis un statut inté­ri­maire, puis la dis­cussion sur le statut final. Ce qui a permis à ceux qui ne vou­laient jamais arriver au statut final de faire en sorte que l’intérimaire devienne le défi­nitif. Nous en sommes arrivés à l’idée qu’il fallait inverser la pro­cédure. Ce que nous pro­posons aujourd’hui est une véri­table rupture. Nous voulons d’abord fixer les fron­tières, dire quelle sera la capitale, et quelle est la date limite à partir de laquelle il n’y aura plus d’occupation. Une Palestine dans les fron­tières de 1967, en nous appuyant sur la réso­lution 242, Jérusalem-​​Est comme capitale, et un délai de deux ans. Voilà le cadre. Dans deux ans, c’est fini. À partir de là, nous sommes prêts à remonter les pro­blèmes : comment pro­céder pour arriver à une fin que nous connaissons déjà ? Le projet de réso­lution fixe cette nou­velle pro­cédure et fixe ce délai. L’intérêt est de définir les fron­tières. Une fois que l’on aura dit quelles sont les fron­tières de la Palestine, on aura dit aussi les fron­tières d’Israël. Car qui peut dire aujourd’hui quelles sont les fron­tières d’Israël ?

Mais la résolution palestinienne a-​​t-​​elle une chance de passer ?

Il nous faut une majorité au Conseil de sécurité, c’est-à-dire neuf voix. Et il nous faut éviter le veto amé­ricain. Nous devons obtenir des Amé­ri­cains une abs­tention. Il y a du travail pour y par­venir. Cer­tains des alliés des États-​​Unis y travaillent [1]. Ils leur disent : « Ne com­pliquez pas les choses ! » C’est ce travail et son issue qui vont déter­miner le moment où nous pré­sen­terons la réso­lution. Le 21 octobre com­mence donc le débat sur cette question, mais pas encore sur la réso­lution pro­prement dite.

Qu’est-ce qui vous laisse sup­poser que les États-​​Unis pour­raient ne pas uti­liser leur veto, comme ils le font tou­jours quand il s’agit d’Israël ?

Ce qui est important dans ce contexte, ce sont les recon­nais­sances. Plus de 130 pays ont déjà reconnu la Palestine dans son statut d’observateur aux Nations unies. Mais, avec les nou­velles recon­nais­sances de ces der­nières semaines, il y a un saut qua­li­tatif. Les fron­tières sont définies. Ce sont des recon­nais­sances d’État. C’est ce qui est important dans le pré­cédent britannique [2]. La Suède l’a fait au niveau de son gou­ver­nement. Les contacts avec la France sont positifs. Si la France franchit le pas, elle entraînera trois ou quatre pays. Ce qui peut enclencher un mou­vement. Ce n’est pas seulement du sym­bo­lique. La colère des Israé­liens en témoigne. Il y a vraiment quelque chose de nouveau. Nous demandons la consé­cration du principe pour pouvoir négocier la pro­cédure. Nous passons de l’usage du pluriel au sin­gulier, des ter­ri­toires au pays. Rien n’est acquis, mais c’est une bataille, et nous avons beaucoup de raisons d’espérer.

J’imagine que, dans vos raisons d’espérer, il y a un contexte général que vous jugez plus favo­rable…

Nous avons eu vingt-​​cinq ans pour constater que les diri­geants israé­liens ne veulent pas de solution, qu’ils ne veulent pas d’État pales­tinien, même s’il leur arrive d’en parler. C’est le premier élément, négatif. Mais ce qui a accéléré les choses, c’est évi­demment la guerre à Gaza. Elle a eu des effets énormes sur les opi­nions, sur les États et sur les res­pon­sables poli­tiques. Le fait qu’Israël ait ensuite mis la main sur 400 nou­veaux hec­tares dans la région de Bethléem, en Cis­jor­danie, en signe de punition col­lective, au len­demain des mas­sacres commis à Gaza, a ren­forcé cette prise de conscience. Tout le monde est convaincu aujourd’hui que les diri­geants actuels d’Israël ne connaissent pas de limites.

Soyons optimistes. Que se passera-​​t-​​il si la résolution est adoptée ?

Si elle est adoptée, la Palestine ira immé­dia­tement à la table de négo­cia­tions. Si Israël ne veut pas, tous ceux qui auront pris position en faveur de la réso­lution devront agir. S’il y a une pro­cla­mation en masse, Israël sera dans une très mau­vaise position. Et plus encore si les États décident d’ouvrir des ambas­sades pales­ti­niennes chez eux, et s’ils décident que leurs consulats à Jérusalem-​​Est deviennent des ambas­sades. Cela pro­vo­quera une grosse crise en Israël. Nous avons déjà vu une pétition d’une cen­taine de per­son­na­lités israé­liennes demandant au Par­lement bri­tan­nique de voter la reconnaissance.

D’autres obs­tacles ne risquent-​​ils pas de venir du côté pales­tinien ? Où en est le Hamas ?

Le Hamas n’a pas accompli une mutation idéo­lo­gique telle qu’il accueille le gou­ver­nement d’union nationale avec enthou­siasme. Il s’y est résolu parce qu’il a jugé que c’était aujourd’hui la seule solution. C’est un acte de réa­lisme. Per­sonne ne demande au Hamas de renoncer à son idéo­logie ni de renoncer au reli­gieux. Il faut dire que, de l’autre côté aussi, il y a beaucoup de reli­gieux. Il ne s’agit donc pas de cela. Il ne faut pas croire que le Hamas ne fait pas de poli­tique, et qu’il agirait uni­quement en fonction de cri­tères théo­lo­giques. Le Hamas tient compte aussi de la réaction de la popu­lation. Il n’y a pas eu en Palestine une guerre civile entre des gens qui étaient reli­gieux et d’autres qui le seraient moins. C’était un affron­tement entre deux partis. Et le peuple n’était que spec­tateur. Et il n’aimait pas du tout ce spec­tacle. J’ajoute que d’autres fac­teurs ont joué. La situation en Égypte a éga­lement compté, et les amis du Hamas l’ont encouragé à « bouger ». Il faut éga­lement pré­ciser que le gou­ver­nement d’union nationale ne com­prend pas de membres du Hamas. Il est agréé par le Hamas. La nuance est importante.

Qu’est-ce qui motive le gouvernement israélien aujourd’hui ?

Ce qui motive les Israé­liens, c’est une idéo­logie colo­niale déli­rante qui nous propose Dieu comme par­te­naire de négo­ciation. N’oublions pas le mot de Rabin, qui détestait les colons : « Dieu n’est pas un agent immobilier. »

Croyez-​​vous que le contexte régional en Syrie et en Irak peut déter­miner les capi­tales occi­den­tales à se mobi­liser davantage pour sou­tenir votre démarche ?

Il y a deux ana­lyses. Il y a ceux qui disent que, même si on règle le conflit israélo-​​palestinien, il n’est pas sûr que ça calme les mou­ve­ments fon­da­men­ta­listes. La seconde analyse s’en tient tou­jours à l’idée de la cen­tralité du conflit israélo-​​palestinien. Il y a du vrai dans les deux. Bien sûr, la réso­lution du conflit ne réglera pas tout méca­ni­quement. Mais ça conso­li­derait énor­mément le dis­cours de tous ceux qui pensent qu’il ne faut pas chercher de solution dans le fon­da­men­ta­lisme. Et n’oublions pas que l’injustice his­to­rique faite à la Palestine mine les sociétés arabes.

 

Elias Sanbar est ambas­sadeur de la Palestine à l’Unesco, his­torien, poète et essayiste.

[1] La France, dit-​​​​on, serait de ceux-​​​​là. Laurent Fabius, en tout cas, s’y emploierait avec infi­niment de prudence.

[2] Le Par­lement bri­tan­nique s’est pro­noncé le 13 octobre pour la recon­nais­sance d’un État pales­tinien, appelant le gou­ver­nement à faire de même.


http://www.politis.fr/Elias-Sanbar-Des-Territoires,28633.html

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30 octobre 2014 4 30 /10 /octobre /2014 01:55

October 22, 2014

When DID Israel cease fire?

The Palestine Solidarity Campaign works for peace & justice for Palestinians, in support of human rights & against all racism
Einas Khalil  
Although the BBC and other media are reporting that the ‘cease-fire’ is holding, when did Israel ever cease fire? In the last few days two Palestinian children have been killed in the West Bank. Bahaa Badr – a 13 year old boy – was shot dead by Israeli soldiers, following demonstrations against the occupation. A five year old girl, Einas Khalil, was run over and killed by a settler, it is believed deliberately. No one has been arrested. A video has emerged of Israeli soldiers imprisoning,handcuffing and blindfolding a mentally disabled Palestinian child. More details have also emerged about the torture and death of Raed Al Jabari in Israeli prison. Israel’s waves of attacks and imprisonment of Palestinians continue.
Israeli violence also continues against Palestinians in Gaza. The UN has reported seven incidents in Gaza from 30 September to 13 October where Israeli forces opened fire. One incident caused an injury, and forced Palestinian farmers to leave their agricul­tural land. Israeli forces also made an incursion and levelled Palestinian land in Gaza, report­edly entering up to approximately 150 metres across the border.
On two occasions during the reporting period, Is­raeli naval forces opened warning shots at Palestin­ian fishing boats sailing near the Israeli-declared 6-Nautical-Mile (NM) fishing limit. No injuries were reported. Access restrictions at land and sea continue to undermine the agricultural sector in Gaza, which is the primary source of income for thousands of farmers and fishermen and their fami­lies. See UN OCHA report>
And contrary to the terms of the ceasefire deal signed in August, the blockade of Gaza has not been lifted.

http://www.palestinecampaign.org/when-did-israel-ceasefire/#sthash.asjpOmnE.dpufign

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