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25 avril 2017 2 25 /04 /avril /2017 05:31
 
INTERVIEW – Henry Laurens : « Les Palestiniens ont pour eux le droit mais n’ont pas la force »
 
 
 
 
#Diplomatie

L’historien prolifique, auteur notamment des cinq tomes de La Question de Palestine, éclaire pour MEE une situation moyen-orientale « compliquée », voire inextricable du fait de la multiplicité des acteurs et enjeux qui se greffent

 
Des Palestiniens se tiennent à côté des décombres de leur maison après sa démolition par la municipalité de Jérusalem, dans le quartier à majorité palestinienne d’al-Tur, à Jérusalem-Est, en septembre 2016 (AFP)
Hassina Mechaï's picture
22 avril 2017
 
 

Henry Laurens, professeur au Collège de France, pense le Moyen-Orient comme un système géopolitique où se déploie « un jeu permanent d’ingérences et d’implications entre les acteurs locaux, régionaux et internationaux ».

Effondrement des États, impasse israélo-palestinienne, tensions sunnites-chiites, regain d’une opposition Russie–États-Unis, règne des milices qui s’engouffrent dans ces désaccords politiques synonymes de saccages. Y a-t-il même une syntaxe des relations internationales propres au XIXe siècle, avec le retour dans la région de la Russie, une Turquie à la nostalgie toute ottomane, le cycle de conférences de paix hâtives tentant d’apporter leur solution, les rivalités diplomatiques et militaires multiples ?

Penseur du temps long, de la respiration historique profonde, Henry Laurens observe le « grand jeu » moyen-oriental, dont il livre ici quelques clés utiles.

Middle East Eye : En Israël/Palestine, vous parlez de « paix impossible ». À quoi s’attendre dans les prochaines années ?

Henry Laurens : À rien. Autant dans la décennie des années 1990, il y avait une fenêtre d’opportunité pour arriver à un règlement de paix, autant aujourd’hui, il n’y a aucune condition particulière pour cela, même si Donald Trump a donné l’apparence de vouloir lancer de nouvelles initiatives. Mais les faits sont têtus. La progression de la colonisation ne permet pas de constituer un État palestinien homogène. Pour quelles raisons, dès lors, les Palestiniens accepteraient-ils un archipel de lieux complètement isolés ?

MEE : Pour reprendre l’expression de Raymond Aron, qui qualifiait la guerre froide de « paix impossible, guerre improbable », est-ce une situation où la paix est impossible, comme vous le dites, et la guerre toujours probable ?

HL : C’est là un conflit de basse intensité comme il y en eut dans l’Histoire auparavant. En Irlande par exemple. Par définition, ces conflits de basse intensité peuvent durer très longtemps. À moins d’un bouleversement régional, pour l’instant, il ne faut s’attendre à rien. Le processus de paix est devenu au final un processus sur le processus. Sur la paix elle-même, rien n’est rassurant. Les Israéliens n’ont aucun intérêt à faire évoluer la situation car elle leur profite complètement. Ils sont isolés de l’essentiel de la population palestinienne. Ils font payer la charge de l’administration des territoires occupés à l’Autorité palestinienne, c’est-à-dire à l’Union européenne ou l’aide internationale.

Le processus de paix est devenu au final un processus sur le processus. Sur la paix elle-même, rien n’est rassurant. Les Israéliens n’ont aucun intérêt à faire évoluer la situation car elle leur profite complètement

Au-delà de cette situation qui leur profite largement, il y a l’aspect mystique, messianique, au sens politique du terme. Un ministre israélien a encore déclaré récemment que la Bible est la preuve que toute la terre d’Israël leur appartient. Ces affects religieux s’ajoutent donc à la question politique. Or, il est plus facile de céder sur le politique que sur le religieux.

Les Palestiniens ont pour eux le droit, mais ils n’ont pas la force. Les Israéliens ont pour eux la force, mais ils n’ont pas le droit. Les premiers ne peuvent transformer leur droit en force et les seconds leur force en droit. L’impasse est pour le moment durable.

MEE : L’administration Trump donne tous les signes d’un alignement sur la politique nationaliste et religieuse du gouvernement Netanyahou. Que peut-on en attendre ?

HL : Les Israéliens s’attendaient à ce que les États-Unis leur donnent leur bénédiction sur l’extension des colonies, c’est plutôt le message inverse qui leur a été envoyé par Washington ces derniers jours. Mais concrètement, dans les faits, Donald Trump n’y connaît rien. Il annonce qu’il veut faire « un deal », mais si on était dans une logique de deal, on y serait arrivés dans les années 1990, lors du processus dit d’Oslo.

Donald Trump reprend, au final, ce qu’a fait Barack Obama. Il y a des contraintes dont il commence à tenir compte. Au fond, je note plus une continuité qu’une rupture entre l’administration Obama et celle de Trump.

Quant à l’annonce du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, c’est un rituel diplomatique américain. Tous les ans, le Congrès fait une recommandation demandant le transfert. C’est aussi une question régulièrement posée par les candidats à l’élection, qu’ils finissent par oublier une fois élus.

 

 


Pour l'historien Henry Laurens, à moins d’un bouleversement régional, il ne faut s'attendre à aucun progrès sur le front israélo-palestinien dans les années à venir (avec l'aimable autorisation d'Henry Laurens)
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