Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 juin 2009 3 03 /06 /juin /2009 09:38

Un maximum d'attente



C’est une expectative fébrile en Egypte et dans le monde arabo-musulman. Que dira demain le président américain pour tenter d’ouvrir une nouvelle page entre l’Amérique et les pays de l’islam après une longue brouille ?


Sur le trottoir qui longe l’Université du Caire, un ouvrier arrose la grille avec un tuyau. Un peu plus loin, des machines refont l’asphalte de la route qui mène vers la fameuse voûte du campus et d’où le président américain devrait prononcer son discours. Des détails qui pourraient paraître peu importants dans ce quartier bruyant et qui ressemble plutôt à un souk avec des dizaines de magasins qui ne font que des photocopies des résumés de cours.

Mais des détails similaires ou presque sont repérables dans d’autres coins de la capitale. Sur le fameux pont du 6 Octobre qui relie tout Le Caire, une machine grandiose dite « réparation des ponts » est en train de vérifier toutes les jonctions. Du jamais-vu pour les Cairotes, qui savent que la ville est en train de faire peau neuve pour les beaux yeux de Barack Obama.

Le maître de la Maison Blanche délivrera un discours très attendu à l’intention de 1,5 milliard de musulmans.

Son objectif, comme il l’a fait savoir, est de rapprocher l’Amérique du monde musulman. Une nouvelle voie « basée sur les intérêts communs et le respect mutuel ».

Obama devrait dans ses mots évoquer la perception qu’ont de l’Amérique les musulmans, il s’attardera aussi sur la contribution des musulmans à la civilisation occidentale, l’âge d’or du monde musulman, dit-on.

En gros, le président américain devrait réparer l’héritage laissé par son prédécesseur George Bush et chercher à effacer des esprits des musulmans les traces laissées par sa dite « guerre contre le terrorisme ».

Mission pour autant difficile, surtout si Obama cherche à baser son discours sur sa propre expérience. Ainsi, selon les analystes les plus proches de la Maison Blanche, un discours autobiographique d’un chrétien né d’un père africain musulman et ayant vécu une grande partie de son enfance dans le pays musulman le plus peuplé, l’Indonésie, ne permettra pas à lui seul de lancer cette passerelle entre deux mondes sceptiques l’un vis-à-vis de l’autre. Le magazine Time écrit : « Il faudrait qu’il se souvienne que Le Caire n’est pas Philadelphie (en référence à sa campagne électorale). C’est le grand bazar. Il se dirige vers un lieu où parler n’est pas bon marché, mais dangereux. Car là-bas, les mots qui viennent surtout d’un non-musulman sont vus de manière suspecte dans les meilleurs des cas ».

Obama s’adressera en effet à un public sans doute sceptique sur les intentions des Américains dans la région.

James Zogby, de l’Institut arabe américain à Washington, affirme que « l’élection du président Obama a suscité l’espoir parmi de nombreux Arabes et musulmans, mais pas tous ». Un récent sondage mené dans six pays arabes par l’institut Zogby International conclut qu’au Liban, en Arabie saoudite, au Maroc et aux Emirats arabes unis, Obama est vu d’une manière assez favorable et que ces premiers pas pour réhabiliter l’image de l’Amérique sont appréciés. Pourtant, en Egypte et en Jordanie, « un profond scepticisme demeure ».

Le même sondage montre que la plupart des Egyptiens ont une opinion défavorable des Etats-Unis et les trois quarts ont une appréciation défavorable des premiers pas menés par le président américain.

Ce pessimisme fait en revanche que la barre des attentes a été placée très haut.

Le monde musulman attend plus que des mots fins et chargés d’émotions. Il s’attend sans doute à une sorte d’excuses sur les récentes politiques américaines et plus encore à des mesures concrètes pour changer ce qui est à la base de tout ce quiproquo islamo-américain : l’occupation israélienne de territoires arabes.

« Ecoutons ce que Obama dira, mais ... ». C’est ainsi que Hassan Nafaa signe une tribune adressée aux musulmans à la veille du discours d’Obama.

Le professeur de sciences politiques met en garde les Arabes : « Ne soyez pas attirés par de beaux mots qui mèneront les Arabes à accepter le marché de l’arrêt de la colonisation contre la normalisation » des relations avec Israël.

A vrai dire, « les générations arabes ne veulent plus entendre le même discours fertile sur le processus de paix ou les mêmes accusations contre l’Iran, elles veulent quelque chose de nouveau », affirme un diplomate européen au Caire. « Ainsi, une seule fausse référence pourrait saboter le discours et le rendre ridicule. Parce qu’elles attendent d’Obama, contrairement à Bush, de savoir de quoi il parle », estime-t-il.

Le penseur islamique Ahmad Kamal Aboul-Magd affirme que le véritable enjeu est plus large. « Il faudrait que l’Occident revoie son idée que l’islam est dangereux pour le monde » (lire entretien).

Parce qu’il est facile de jeter tout sur la haine, sans chercher d’où ce sentiment vient. Des clichés à l’instar de « On n’est pas en guerre contre les musulmans » seront inefficaces, dit l’écrivain Fahmi Howeidi. « Son discours devrait être plus grand et plus substantiel ».

Les musulmans eux-mêmes affirment que c’est un exercice des plus difficiles. Leur monde est lui-même large, varié et diversifié qu’il est plus pratique de s’adresser à lui avec des mots assez généraux.

Les attentes des musulmans d’Afrique changent bien de celles de l’Extrême-Orient et encore du monde arabe, ou de l’Afghanistan ou du Pakistan. Il n’y a donc aucune raison de croire que le discours du Caire sera loin de celui prononcé à Ankara en avril dernier.

Un seul discours, mais plusieurs publics. Du coup, comme écrit le New York Times, « ses dons oratoires seront sujets aux taxes ». Au Caire, ce serait de toute façon un premier pas et ce serait au monde musulman de faire le deuxième.


Samar Al-Gamal

http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2009/6/3/leve1/htm

Partager cet article
Repost0

commentaires