Bitter Lemons, jeudi 1er mars 2012
Dugard : Je pense que, quand on compare la situation en Afrique du Sud et la situation dans le territoire palestinien occupé, il faut considérer deux perspectives différentes. D’abord, il y a la similitude entre les deux systèmes ou régimes et ensuite la question de savoir si le système en vigueur dans le territoire palestinien occupé relève de la convention des Nations-unies sur l’apartheid. Les deux problèmes sont liés, mais je pense qu’il est utile de les traiter séparément.
S’il m’est permis de commencer par le premier de ces deux aspects, je pense qu’il est clair qu’il y a des caractéristiques similaires, en ce sens qu’il y a discrimination, répression et fragmentation territoriale dans le territoire palestinien. Il y a, bien sûr, la controverse quant au mot "race" mais, en gros, on peut considérer que c’est comme si Palestiniens et Juifs relevaient de deux races différentes. Une fois écarté ce problème, il est clair qu’il y a discrimination à l’encontre des Palestiniens et à l’avantage des colons. Les colons sont l’équivalent grosso modo des Sud-Africains blancs, en ce sens qu’ils constituent le groupe dominant.
Pour ce qui est de la répression, il y a des lois sécuritaires qui sont similaires. En Afrique du Sud, il y avait des lois qui autorisaient la torture et il y a également des allégations sérieuses de torture dans le territoire palestinien occupé. Sur la question de la fragmentation territoriale, en Afrique du Sud, nous avions la politique des bantoustans qui tendait à séparer le pays territorialement. Dans le territoire palestinien occupé, le mur, les colonies, les zones militaires constituent la fragmentation territoriale et vous voyez, sous vos yeux, le territoire palestinien être découpé.
Pratiquement tout Sud-Africain qui va en Cisjordanie et à Gaza est frappé par les similitudes. Nous avons tous une impression de déjà vu. Je parle surtout de Sud-Africains noirs, comme l’archevêque Desmond Tutu et d’autres, qui ont fait état, de manière répétée, du fait que, à leurs yeux, la situation dans le territoire palestinien occupé est, à bien des égards, pire que l’apartheid.
B.L. : Que répondez-vous à ceux qui (comme le juge Richard Goldstone) vous critiquent en disant que cette comparaison est absurde ?
Dugard : Je ne suis pas tellement gêné par les commentaires de Richard Goldstone dans le New York Times quand il dit que la comparaison entre l’apartheid et ce qui se passe dans le territoire palestinien occupé est diffamatoire et faux. Ce que je trouve très intéressant, au contraire, quand on examine le prétendu rapport Goldstone et, en particulier, le chapitre sur la Cisjordanie, c’est que, s’il n’utilise pas le mot "apartheid", la critique qu’il fait du système qui prévaut en Cisjordanie, en fait, le caractérise comme une forme d’apartheid. Je trouve quelque peu bizarre qu’il nous dise que c’est "diffamatoire" alors que son propre rapport lui-même confirme, dans une large mesure, que le système qui prévaut dans le territoire palestinien occupé est une forme d’apartheid.
B.L. : Est-ce que le système en vigueur dans les territoires occupés correspond à la définition onusienne de l’ "apartheid" ?
Dugard : La convention sur l’apartheid dresse la liste d’un certain nombre d’ "actes inhumains" et les Forces de Défense d’Israël commettent effectivement bon nombre de ces "actes inhumains" dans le territoire palestinien. Il y a des assassinats arbitraires qu’on appelle ici "assassinats ciblés". Il y a la détention administrative sans jugement et des actes inhumains du genre de ceux qui sont effectivement mentionnés dans la convention sur l’apartheid. Et encore faut-il qu’un tel acte soit perpétré avec l’objectif délibéré de perpétuer la domination d’un groupe sur un autre pour qu’il y ait apartheid. Là aussi, je pense qu’on peut dire sans se tromper que la finalité de ces actes inhumains est bien de perpétuer la domination des colons dans le territoire palestinien.
B.L. : Pour quelles raisons pensez-vous que cette comparaison spéculative est considérée comme aussi "hors sujet" dans la discussion habituelle de la situation dans les territoires occupés ?
Dugard : Je ne pense pas que ce soit très réfléchi. Je pense que les deux systèmes sont à ce point similaires qu’il est important de mettre en avant ces similarités, particulièrement au vu du fait que l’apartheid a été clairement condamné par la communauté internationale et qu’il y a eu des réactions contre le régime d’apartheid. Je pense que la raison pour laquelle on résiste si fort en Israël contre cette comparaison, c’est justement parce qu’on redoute que le genre d’action avec lequel on a sévi contre le régime de l’apartheid soit utilisé à l’encontre d’Israël pour ce qu’il fait dans les territoires occupés. Je pense, en dernière analyse, que la critique que je formule à l’égard d’Israël vise surtout la position des colons. Je suis conscient que certains disent que les pratiques d’Israël à l’intérieur de ses frontières constituent déjà une forme d’apartheid. J’ai personnellement de sérieux doutes à ce sujet.
L’autre facteur important, c’est que l’installation de colons dans les territoires occupés peut être reconnue comme une forme de colonialisme. Or, le colonialisme est, lui aussi, rédhibitoirement inacceptable pour la communauté internationale. De sorte qu’on a, pour finir, deux systèmes qui ont, tous les deux, fait l’objet d’une condamnation de la part de la communauté internationale : l’apartheid et le colonialisme.
Mais la communauté internationale ne réagit pas de la même façon qu’elle l’avait fait pour l’Afrique du Sud.
B. L. : Quelle sera, d’après vous, la prochaine étape pour ceux qui préconisent des stratégies de poursuites judiciaires et d’appel à l’opinion publique contre ces pratiques ?
Dugard : Je pense qu’il est important d’essayer de faire de la pédagogie en direction de l’opinion publique, particulièrement aux Etats-Unis et en Europe, pour amener les gens à voir ces similitudes. Et je pense, en outre, qu’il serait particulièrement important que les Israéliens eux-mêmes prennent conscience de ces similitudes. Je sais que des Israéliens de premier plan ont déjà établi la comparaison, mais cela ne semble pas avoir affecté jusqu’ici l’opinion publique en général en Israël.
Je pense que ce qui est important, c’est un processus pédagogique. Je ne veux pas entrer dans le détail du programme d’action (B.D.S.). Je crois en voir l’intérêt mais j’ai par ailleurs des doutes sur d’autres aspects.
John Dugard est un professeur de droit international, auteur d’une étude complète de la loi d’apartheid et a été pendant sept ans, le rapporteur spécial des Nations unies au Conseil des droits de l’homme sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés.
Traduit de l’anglais par Philippe Daumas.
http://www.france-palestine.org/Interview-de-John-Dugard-ancien
AFP, vendredi 2 mars 2012
Le président Barack Obama a qualifié jeudi le soutien des Etats-Unis à Israël de « sacro-saint » et évoqué la nécessité d’aider ce pays à maintenir sa « supériorité militaire », quatre jours avant de recevoir le Premier ministre Benjamin Netanyahu sur fond de tensions avec l’Iran.
Barack Obama, qui participait à New York à une réunion de levée de fonds pour sa campagne en vue de la présidentielle du 6 novembre, a mentionné face à ses soutiens les changements géopolitiques induits par les révoltes populaires dans le monde arabo-musulman depuis début 2011.
« L’un de nos objectifs à long terme dans cette région est de faire en sorte que l’engagement sacro-saint que nous avons vis-à-vis de la sécurité d’Israël ne se traduise pas seulement en lui fournissant les capacités militaires dont il a besoin, pas seulement en lui permettant le genre de supériorité militaire nécessaire dans une région très dangereuse », a-t-il noté. « Essayer de lancer une paix qui puisse être durable dans la région »
Les Etats-Unis doivent aussi coopérer avec Israël « pour essayer de lancer une paix qui puisse être durable dans la région. Et c’est difficile », a noté Barack Obama, dont toutes les tentatives de relancer le processus de paix israélo-palestinien ont échoué malgré la priorité donnée à ce dossier dès le début de son mandat en janvier 2009. Ce dossier est toutefois passé au second plan ces derniers mois alors qu’Israël souffle le chaud et le froid sur une attaque préventive contre le programme nucléaire iranien, dont l’Etat hébreu se dit persuadé qu’il est à visée militaire malgré les dénégations de Téhéran.
Benjamin Netanyahou, qui doit rencontrer Barack Obama lundi, a déclaré cette semaine que le dossier iranien serait le « principal sujet » de ses entretiens avec le président américain. « L’Iran continue à avancer rapidement et avec arrogance dans son programme nucléaire, en méprisant totalement les décisions de la communauté internationale », a prévenu le Premier ministre israélien, qui assure régulièrement se réserver « toutes les options » face à cette menace.
Washington affirme aussi que « toutes les options sont sur la table » face à l’Iran mais estime que le régime islamique n’a pas entrepris de construire une arme nucléaire. « Donc, nous avons du temps et de la latitude pour continuer la politique que nous avons appliquée depuis que le président a pris ses fonctions », a déclaré mercredi le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, allusion au régime de sanctions internationales imposées au régime. Toute action contre l’Iran créerait « davantage d’instabilité »
Il a également prévenu que toute action contre l’Iran créerait « davantage d’instabilité ». « L’Iran est à la fois limitrophe de l’Afghanistan et de l’Irak. Nous avons du personnel civil en poste en Irak, nous avons des soldats et des civils en Afghanistan », a-t-il remarqué. « Il y a toutes sortes de conséquences potentielles à davantage d’activités militaires dans la région et en particulier en Iran », a souligné le porte-parole.
Barack Obama, lors d’une autre réunion de levée de fonds à New York en soirée, a été interpellé au sujet du dossier iranien. « Exercez votre influence ! Pas de guerre en Iran ! », a lancé une jeune femme dans le public. Barack Obama a répondu à la volée : « Personne n’a déclaré la guerre, mademoiselle. Vous allez un peu vite en besogne. »
http://www.france-palestine.org/Soutien-sacro-saint-des-Etats-Unis
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