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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 00:40
Etranges élections

jeudi 10 janvier 2013

Dans quelques cen­taines d’années, un pro­fesseur à la recherche d’un sujet par­ti­cu­liè­rement ésoté­rique demandera à ses élèves de faire un travail de recherche sur les élec­tions israé­liennes de 2013.
Les étudiants revien­dront avec une réponse unanime : les résultats de notre recherche sont incroyables.
Se trouvant face à trois dangers graves au moins, concluront-​​ils, les partis israé­liens et les élec­teurs les ont tout sim­plement ignorés. Comme s’ils avaient monté ensemble une conspi­ration, ils ont convenu taci­tement entre eux de ne pas en parler. Au lieu de cela, ils se sont cha­maillés et dis­putés à propos de ques­tions tota­lement insi­gni­fiantes et hors de propos.
ON EST FRAPPÉ par le fait que ces élec­tions ont été avancées – elles ne devaient inter­venir qu’en novembre 2013  – à cause de la pré­tendue impos­si­bilité pour le Premier ministre d’obtenir l’approbation par la Knesset du budget annuel de l’État.
Le budget proposé prenait en compte le fait que l’État s’était mis dans une situation d’énorme déficit qui rendait inévi­tables des mesures radi­cales. Les impôts y étaient aug­mentés de façon dra­ma­tique et les ser­vices sociaux coupés encore plus que durant les quatre der­nières années de gestion de Ben­jamin Netanyahou.
(Cela n’empêcha pas d’ailleurs Néta­nyahou de faire des dis­cours élec­toraux sur l’excellente situation de l’économie israé­lienne, de loin supé­rieure aux économies des prin­cipaux pays occidentaux.)
Pour com­pa­raison : les élec­tions récentes aux États-​​Unis s’étaient aussi déroulées dans un contexte de crise finan­cière grave. Deux concep­tions fon­da­men­tales sur la solution furent pro­posées par les anta­go­nistes, le débat prin­cipal portant sur le déficit, les impôts et les ser­vices sociaux. Cela se pour­suivit après les élec­tions et une forme de com­promis fut obtenue juste à temps pour éviter une faillite nationale.
Rien de tel en Israël. Il n’y eut pas l’ombre d’un débat.
À vrai dire, le parti tra­vailliste, crédité d’environ 15% des suf­frages, avait proposé un projet écono­mique par­ti­cu­liè­rement ambi­tieux pour les pro­chaines années, élaboré par un groupe de pro­fes­seurs d’université. Pourtant, ce projet était tout à fait inadapté au pro­blème qu’allait affronter l’État au len­demain des élec­tions : comment col­mater le trou de dizaines de mil­liards de shekels du budget 2013.
Le Likoud ne dit pas un mot sur le budget qu’il avait l’intention de pro­poser à la Knesset. Le parti tra­vailliste n’en parla pas davantage, ni la quelque dizaine de partis en compétition.
Lorsque nous mettons notre bul­letin de vote dans l’urne, pour quoi votons-​​nous ? Pour des impôts plus élevés sûrement. Mais des impôts sur qui ? Les riches vont-​​ils payer davantage, ou bien est-​​ce la “classe moyenne” appauvrie qui va payer davantage ? Dans quelles dépenses va-​​t-​​on couper – l’aide aux han­di­capés, aux malades, aux vieux, aux chô­meurs ? Quid de l’énorme budget mili­taire ? Les colonies ? Israël va-​​t-​​il perdre sa notation finan­cière inter­na­tionale favo­rable ? Allons-​​nous nous engager dans une récession sévère ?
La raison pour laquelle aucun parti ne veut entrer dans les détails est évidente – toute pro­po­sition sérieuse lui ferait perdre des voix. Mais nous, le peuple – pourquoi les laissons-​​nous s’en tirer à bon compte ? Pourquoi n’exigeons-nous pas de réponses ? Pourquoi acceptons-​​nous des géné­ra­lités stu­pides que per­sonne ne prend au sérieux ?
Énigme N° 1
ISRAËL AFFRONTE une grave crise consti­tu­tion­nelle – si une telle expression s’applique à un État qui n’a pas de constitution.
L’ODME (« Only Demo­cracy in the Middle East » –« “Seule Démo­cratie au Moyen-​​Orient » ndt) est menacée de l’intérieur, sur un large front.
Le danger le plus immédiat concerne la Cour Suprême, le bastion le plus robuste qui sub­siste de ce qui fut jadis une démo­cratie flo­ris­sante. La Cour s’efforce – de façon plutôt timide – de résister aux actes et aux projets de lois les plus outran­ciers de la majorité de droite à la Knesset. Les demandes faites à la Cour d’abroger des lois clai­rement anti-​​démocratiques sont ajournées depuis des années. (Y compris ma propre demande d’abroger la loi qui inflige des amendes consi­dé­rables à qui­conque appelle au boycott des pro­duits des colonies. L’affaire – « Avnery contre l’État d’Israël » – a été reportée à plu­sieurs reprises.)
Mais même ces actions timides – cer­tains les qua­li­fie­raient de lâches – de la Cour Suprême pro­voquent la fureur des gens de droite. Naftali Bennett, le diri­geant du parti qui pro­gresse le plus vite à l’approche de ces élec­tions (de 6% à 12% en quelques semaines), promet de faire entrer mas­si­vement ses favoris à la Cour.
Les juges israé­liens sont désignés par un comité dans lequel les juges du siège jouent un rôle majeur. Bennett et ses alliés du Likoud veulent modifier les règles de façon à faire choisir les juges par les hommes poli­tiques de droite. Son objectif déclaré : mettre fin à “l’activisme judi­ciaire”, enlever à la Cour Suprême le pouvoir d’abroger les lois et de bloquer les déci­sions admi­nis­tra­tives contraires à la démo­cratie, telles que celles rela­tives à la construction de colonies sur des pro­priétés privées palestiniennes.
Les médias israé­liens sont déjà lar­gement neu­tra­lisés par un pro­cessus rampant qui n’est pas sans res­sem­blance avec ce que les Alle­mands avaient coutume d’appeler Gleich­schaltung (mise au pas ndt).
Les trois chaînes de télé­vision sont plus ou moins en faillite et dépendent des sub­ven­tions du gou­ver­nement. Leurs direc­teurs sont en pra­tique des salariés du gou­ver­nement. La presse écrite est aussi au bord de la faillite, à l’exception du plus important journal d’ « information » appar­tenant à Sheldon Adelson, un organe de pro­pa­gande de Néta­nyahou, qui est dis­tribué gra­tui­tement. Bennet ne cesse de répéter l’affirmation ridicule que presque tous les jour­na­listes sont de gauche (ce qui signifie traîtres). Il promet de mettre fin à cette situation intolérable.
Les affir­ma­tions de Bennett sont à peine plus extré­mistes que celles du Likoud et des partis religieux.
Lors de la réunion annuelle des chefs de mis­sions diplo­ma­tiques d’Israël dans le monde, un diplomate de très haut rang a demandé pourquoi le gou­ver­nement avait annoncé la construction d’une nou­velle énorme colonie à Jéru­salem Est, une décision condamnée dans le monde entier. La question a été bruyamment applaudie par les diplo­mates. Le porte-​​parole de Néta­nyahou, encore récemment l’officier porteur de kippa le plus gradé de l’armée, a sèchement répliqué aux diplo­mates de démis­sionner s’ils avaient des pro­blèmes avec la poli­tique du gouvernement.
Il y a quelques semaines, le général com­mandant en chef des ter­ri­toires occupés de Cis­jor­danie a décidé d’élever au statut d’université le collège de la colonie d’Ariel. Ce pourrait être la seule uni­versité au monde à s’être vue accorder ses statuts par un général de l’armée.
Il n’y a, évidemment, pas le moindre signe de démo­cratie ou de droits humains dans les ter­ri­toires occupés. Le Likoud menace de couper les crédits inter­na­tionaux à toutes les ONG qui ten­te­raient de contrôler ce qui s’y passe.
Ce pro­cessus de dé-​​démocratisation susciterait-​​il un furieux débat pour ces élec­tions ? Pas du tout, à peine quelques timides pro­tes­ta­tions. La question n’est pas de nature à recueillir des voix.
C’est l’énigme N° 2
MAIS l’énigme la plus éton­nante concerne la menace la plus dan­ge­reuse : la question de la paix et de la guerre. Elle a presque com­plè­tement disparu de la cam­pagne électorale.
Tzipi Livni a adopté les négo­cia­tions avec les Pales­ti­niens comme une sorte de gadget élec­toral – sans émotion, évitant autant que pos­sible le mot “paix”. Tous les autres partis, à l’exception des petits Meretz et Hadash, n’en parlent pas du tout.
Au cours des quatre pro­chaines années, l’annexion offi­cielle de la Cis­jor­danie à Israël pourrait devenir une réalité. Les Pales­ti­niens pour­raient bien se voir confinés dans de petites enclaves, la Cis­jor­danie serait remplie de beaucoup plus de colonies, une vio­lente intifada pourrait se déclencher, Israël pourrait se trouver isolé dans le monde, même le soutien vital des Amé­ri­cains pourrait faiblir.
Si le gou­ver­nement per­siste dans sa démarche actuelle, cela va conduire à un désastre assuré – tout le pays entre la Médi­ter­ranée et le Jourdain deviendra une seule entité sous autorité israé­lienne. Ce Grand Israël com­portera une majorité arabe avec une minorité juive de plus en plus réduite, le trans­formant inévi­ta­blement en un État d’apartheid, en proie à une guerre civile per­ma­nente et tenu à l’écart par le monde.
Si des pres­sions externes et internes finissent par contraindre le gou­ver­nement à accorder des droits civils à la majorité arabe, le pays va se trans­former en un État arabe. Cent trente quatre années d’entreprise sio­niste se conclueront par un échec, une répé­tition du royaume des croisés.
C’est tel­lement évident, tel­lement inévi­table qu’il faut une volonté de fer pour ne pas y penser. Il semble que tous les partis en lice dans ces élec­tions aient cette volonté. Parler de paix, pensent-​​ils, est un poison. Rendre la Cis­jor­danie et Jéru­salem Est en échange de la paix ? À Dieu ne plaise même d’y penser.
Il est étrange que cette semaine deux son­dages sérieux – indé­pen­dants l’un de l’autre soient arrivés à la même conclusion : la grande majorité des élec­teurs israé­liens est favo­rable à la “solution à deux États”, à la création d’un État pales­tinien dans les fron­tières de 1967 et à la par­tition de Jéru­salem. Cette majorité com­prend la majorité des élec­teurs du Likoud, et même près de la moitié des par­tisans de Bennett.
Comment cela se fait-​​il ? L’explication se trouve dans la question qui suit : combien d’électeurs estiment que cette solution est pos­sible ? La réponse : presque per­sonne. Pendant des dizaines d’années, les Israé­liens ont subi un lavage de cerveau pour les amener à penser que “les Arabes”ne veulent pas la paix. S’ils disent la vouloir, c’est qu’ils mentent.
Si la paix est impos­sible, pourquoi y penser ? Pourquoi même en parler dans une cam­pagne élec­torale ? Pourquoi ne pas revenir 44 années en arrière aux jours de Golda Meir et pré­tendre que les Pales­ti­niens n’existent pas ? (« Il n’existe rien de tel qu’un peuple pales­tinien… Ce n’est pas comme s’il y avait un peuple pales­tinien que nous serions venus expulser pour prendre leur pays. Ils n’existent pas. » – Golda Meir, le 13 juin 1969)
Voilà donc l’énigme N° 3
LES ÉTUDIANTS, dans quelques cen­taines d’années, pour­raient bien arriver à cette conclusion : “Ces élec­tions israé­liennes furent réel­lement étranges, en par­ti­culier si l’on considère ce qui s’est produit dans les années qui ont suivi. Nous n’avons trouvé aucune expli­cation rationnelle.”
Le professeur hochera tristement la tête.



http://www.france-palestine.org/Etranges-elections

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