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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 01:10
           Mandela : le film





Uri Avnerydimanche 29 décembre 2013

Je viens de voir le nouveau film “Mandela”, et je suis si pro­fon­dément ému qu’il me faut exprimer ce que j’ai ressenti.

C’est un très bon film, avec de très bons acteurs. Mais ce n’est pas l’élément essentiel. C’est un film très clair, qui pré­sente ce qui s’est réel­lement passé en Afrique du Sud, et l’on ne peut s’empêcher d’y penser et d’y repenser sans cesse.

Qu’est-ce que j’en pense ?

SI L’ON avait demandé il y a quelque 35 ans à n’importe quel Sud-​​Africain, noir ou blanc, comment ce conflit se ter­mi­nerait, la réponse aurait été très pro­ba­blement : “Il ne se ter­minera pas. Il n’y a pas de solution.” C’est exac­tement la réponse que l’on obtient aujourd’hui en Israël et en Palestine.

Il ne pouvait pas y avoir de solution. La grande majorité des Sud-​​Africains noirs voulait la liberté et le pouvoir. La grande majorité des blancs, Boers comme Bri­tan­niques, savaient qu’une fois le pouvoir pris par les Afri­cains, les Blancs seraient assas­sinés ou expulsés. Aucune des parties ne pouvait céder.

Et pourtant, l’incroyable, l’inimaginable, s’est produit. Les Noirs ont gagné. Un pré­sident noir a pris le pouvoir. Les Blancs n’ont été ni assas­sinés ni chassés. Cer­tains disent qu’ils sont aujourd’hui, à bien des égards, plus puis­sants que les Noirs.

Nous nous y sommes tel­lement habitués que nous n’avons plus conscience du miracle que cela représente.

Lorsque l’Algérie a été libérée après une guerre de libé­ration longue et brutale, plus d’un million de “colons” ont fui pour sauver leur peau. Cet immense exode ne fut pas imposé. Le Pré­sident Charles de Gaulle avait sim­plement annoncé que l’armée fran­çaise par­tirait à une cer­taine date et tous les colons s’étaient enfui en débandade. Un très grand nombre de col­la­bo­ra­teurs locaux avaient été massacrés.

C’est le cours normal des évé­ne­ments lorsque le régime colonial prend fin après une longue période d’oppression brutale. Comme l’écrivait Frie­drich Schiller au début de l’ère colo­niale : “Craignez l’esclave qui brise ses chaînes !”

SONT-​​ILS, les Sud Afri­cains noirs, un autre genre de popu­lation ? Plus humain ? Plus doux ? Moins enclin à la vengeance ?

Pas du tout.

Comme le film le montre clai­rement, il y avait une soif de ven­geance. Les gens avaient souffert d’indicibles outrages pendant tant de décennies. Pas des choses abs­traites. Ils avaient sup­portés des humi­lia­tions quo­ti­diennes dans la rue, dans les parcs, dans les gares, partout. Il ne leur avait pas été permis d’oublier un instant qu’ils étaient noirs et infé­rieurs, et mêmes pas humains. Beaucoup avaient séjourné dans des prisons inhumaines.

Il était donc naturel que le jour de leur libé­ration ils aillent fondre sur leurs tor­tion­naires, brûler, tuer, détruire. La propre femme de Mandela, Winnie, était la pre­mière à crier ven­geance, à exciter les masses.

Et seul un être humain se dressait entre une orgie san­gui­naire et le transfert de pouvoir dans l’ordre.

Le film montre comment Nelson Mandela, abso­lument seul, se dressa contre la vague mon­tante. Au moment décisif, lorsque tout pouvait bas­culer d’un côté ou de l’autre, lorsque l’histoire retenait son souffle, il s’adressa aux masses à la télé­vision, leur disant car­rément : “Je suis votre chef, vous allez suivre ma ligne de conduite ! Sinon, cherchez un autre chef !”

Sa démarche était rai­son­nable. La vio­lence aurait déchiré le pays, peut-​​être de façon irré­pa­rable, comme cela s’était produit dans d’autres pays afri­cains. Les Noirs vivraient dans la peur, comme avaient vécu les Blancs au temps de l’apartheid.

Et, par extraordinaire, le peuple le suivit.

POURTANT MANDELA n’était pas un sur­homme. C’était une per­sonne normale, avec des ins­tincts normaux. Il avait été un pur ter­ro­riste, qui avait envoyé des gens tuer et se faire tuer. Il avait souffert des années de trai­te­ments brutaux, tant phy­siques que mentaux, des années d’emprisonnement à l’isolement qui auraient pu le conduire à la folie.

Encore en prison, et contre la volonté de ses cama­rades les plus proches, il engagea des négo­cia­tions avec les diri­geants du régime d’apartheid.

Aurait-​​il pu y avoir un Mandela sans Fre­derik Willem de Klerk ? Bonne question. Le film ne s’étend pas sur la per­son­nalité de Fre­derik de Klerk. Mais voilà un homme qui avait compris la situation, qui consentit à ce qui revenait presque à une red­dition com­plète aux “kaffirs” méprisés, et qui réalisa cela sans que soit versée une seule goutte de sang. Comme Mikhaïl Gor­bachev, dans des cir­cons­tances dif­fé­rentes, il a dirigé une révo­lution his­to­rique sans effusion de sang. (De façon assez curieuse, “kaffir”, le terme raciste des Blancs pour désigner les Noirs, est dérivé du mot arabe et hébreu pour désigner des infidèles.)

Mandela et de Klerk était par­fai­tement assortis, bien que l’on puisse dif­fi­ci­lement ima­giner deux per­son­na­lités plus différentes.

QUEST-CE QUI A CONDUIT l’abomination de l’apartheid à s’effondrer ?

Partout dans le monde, y compris en Israël, la sagesse commune considère que c’est le boycott mondial imposé à l’État de l’apartheid qui lui a brisé les os. Dans des dizaines de pays, les gens hon­nêtes refu­saient de toucher aux pro­duits sud-​​africains ou de par­ti­ciper à des mani­fes­ta­tions spor­tives avec des équipes sud-​​africaines, faisant ainsi de l’Afrique du Sud un État paria.

Tout cela est vrai et digne d’admiration. Tous ceux qui ont par­ticipé à ce sursaut de conscience méritent le respect. Mais le sen­timent que cela fut l’élément décisif de la lutte est lui-​​même un symptôme de la condes­cen­dance occi­dentale, une sorte de colo­nia­lisme moral.

Le film consacre seulement quelques secondes à ces pro­tes­ta­tions et au boycott du monde entier. Pas davantage.

C’est la lutte héroïque des masses sud-​​africaines, pour la plupart noires, mais aussi indiennes (des des­cen­dants d’immigrants) et métisses, qui a rem­porté la vic­toire. Les moyens furent la lutte armée (tou­jours qua­lifiée de “ter­ro­risme” par l’oppresseur), l’action non-​​violente de masse et les grèves mas­sives. Le soutien de l’étranger a servi essen­tiel­lement à sou­tenir le moral.

Mandela ne fut pas seulement l’un des prin­cipaux diri­geants de la lutte, mais aussi un par­ti­cipant actif, jusqu’au jour où il fut mis en prison à vie.

Le film pourrait donner l’impression qu’il y a eu deux Mandela – le chef de la lutte armée, qui a versé le sang, et l’artisan de paix qui est devenu un symbole mondial de tolé­rance et de pardon.

Pourtant ces deux Mandela n’en font qu’un – un homme prêt à sacrifier sa vie pour la liberté de son pays, mais aussi un homme magnanime et clément dans la victoire.

Il est l’illustration par­faite du vieux dicton juif : “Qui est un héros ? Celui qui trans­forme son ennemi en ami.”

Un Israélien est obligé de se poser la question incon­tour­nable : que nous dit le film sur les simi­li­tudes et les dif­fé­rences entre les situa­tions sud-​​africaine et israélo-​​palestinienne ?

La pre­mière impression est que les situa­tions sont presque entiè­rement dif­fé­rentes. Les contextes poli­tiques et démo­gra­phiques sont aux anti­podes l’un de l’autre. Les res­sem­blances sont essen­tiel­lement superficielles.

Mais en par­ti­culier, les dif­fé­rences les plus évi­dentes sont qu’il n’y a pas de Mandela pales­tinien en vue et encore moins de Fre­derik de Klerk israélien.

Mandela lui-​​même était un soutien pas­sionné de la cause pales­ti­nienne. Il voyait en Yasser Arafat son âme sœur. Il y a vraiment un res­sem­blance : comme Mandela, Arafat a engagé une lutte révo­lu­tion­naire vio­lente de libé­ration (ter­ro­risme), et comme Mandela il a décidé de faire la paix avec son ennemi (Oslo). Si Arafat avait eu la grande taille et l’élégance de Mandela, peut-​​être le monde l’aurait-il traité autrement.

Dans son attitude anti-​​sioniste, Mandela res­sem­blait au Mahatma Gandhi, dont les convic­tions se sont formées au cours des 21 années qu’il passa en Afrique du Sud dont il souffrit du racisme (avant l’institution offi­cielle de l’apartheid). Gandhi avait un prénom musulman (Mohandas, “ingé­nieur” en arabe comme en hébreu). Cependant, alors que les prin­cipes de pardon de Mandela ont triomphé, les prin­cipes de non-​​violence de Gandhi ont échoué. La libé­ration de l’Inde s’est accom­pagnée d’une vio­lence extrême, avec au moins un demi million de morts hindous et musulmans – dont Gandhi lui-​​même.

Le film se termine par l’élection de Mandela à la pré­si­dence, acclamé par les Noirs et les Blancs.

 

 

http://www.france-palestine.org/Mandela-le-film

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