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11 janvier 2013 5 11 /01 /janvier /2013 01:10
Gaza et la nouvelle donne régionale
Par Emmanuel Riondé| 7 décembre 2012

La Palestine prend du galon à l’ONU. Résultat du printemps arabe ? Pour le politologue Bernard Botiveau, si la Palestine fait bien l’objet, du Caire à Tunis, d’une « solidarité permanente », elle n’est pas une « priorité politique ».


C’est fait. Depuis le 29 novembre, la Palestine dispose aux Nations unies d’un statut d’État observateur non-membre qui la met au même niveau que le Vatican. Ce rehaussement (138 États, dont la France, ont voté pour, 41 se sont abstenus et 9 ont voté contre, dont les États-Unis et Israël, bien entendu) est le premier palier de ce type franchit par les Palestiniens au sein du cénacle onusien depuis quinze ans : le 7 juillet 1998, dix ans après avoir décidé que la désignation de Palestine remplacerait celle d’OLP, l’Assemblée générale de l’ONU élevait le statut de la délégation de Palestine à celui d’observateur permanent. La Palestine n’étant toujours pas un État membre de plein droit (ce qui nécessiterait un vote unanime du Conseil de sécurité, rendu à ce jour impossible par le veto des États-Unis), l’avancée du 29 novembre, reste « symbolique », rappelle le politologue Bernard Botiveau [1]. « Il y a quand même quelque chose d’essentiel, c’est l’introduction du terme d’État, ajoute-t-il aussitôt. Cela va rendre plus aisé d’expliquer qu’il s’agit bien d’une occupation : on n’est plus dans de vagues “territoires autonomes” mais dans un État et donc, si une armée étrangère s’y trouve, c’est de l’occupation en bonne et due forme. »

 

Une occupation à laquelle le « processus de négociation » avec Israël que Mahmoud Abbas dit vouloir reprendre d’urgence, n’a jamais mis fin, bien au contraire : depuis la signature, à Washington en septembre 1993, des accords d’Oslo, la population de colons en Cisjordanie est passée de 270 000 à 520 000 en 2010 [2].

 

Sur ce point crucial de l’extension des colonies, comme sur ceux de la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale, du droit au retour des réfugiés, du démantèlement du mur, de la fin du blocus de Gaza, le vote de l’ONU ne va rien changer. La réalité concrète de l’occupation et des rapports de force sur le terrain demeure inchangée. « Ce rehaussement de statut va quand même permettre à des représentants de pays étrangers de se rendre sur place en tant que tels, positive Bernard Botiveau. La Palestine siégeant désormais à l’Unesco et comme État non-membre observateur à l’ONU, cela va faciliter ce type de contact et d’échanges. »

Nouvelle donne après Gaza

Une Palestine moins isolée ? Huit jours avant le vote à l’ONU, l’agression israélienne de la bande de Gaza conduite entre le 14 et le 21 novembre dernier [3] en avait, pour ainsi dire, donné un avant-goût. Durant cette séquence meurtrière (162 tués dont une quarantaine d’enfants et des centaines de blessés graves, côté palestinien ; 6 tués, côté israélien) on a pu voir les premiers effets diplomatiques du changement de donne régionale, post-nouveaux régimes en Tunisie et en Égypte. Durant l’opération militaire israélienne, le premier ministre égyptien, suivi quelques jours plus tard du ministre tunisien des Affaires étrangères, se sont en effet rendus à Gaza pour afficher leur soutien aux Palestiniens.

 

« Sur cette guerre de Gaza, l’Égypte est intervenue main dans la main avec les États-Unis et Morsi, le Président égyptien, a pleinement joué son rôle puisqu’il a réussi à obtenir du Hamas qu’il calme les factions les plus radicales du territoire qui, vu la violence des frappes israéliennes, auraient probablement aimé continuer d’en découdre  », souligne le politologue pour qui, à cette occasion, il a été démontré que « l’Égypte reste bien le relais des États-Unis dans la région ».

 

Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la situation actuelle. Les régimes de Moubarak et de Ben Ali – pour s’en tenir aux « révoltes arabes » les plus « abouties  » à ce jour – ont été renversés par des peuples qui attendent de leurs dirigeants plus d’engagement aux côtés des Palestiniens. En l’occurrence, Mohamed Morsi et les Frères musulmans au Caire, Moncef Marzouki et Ennhada à Tunis, ont toujours affiché clairement leur solidarité avec la cause palestinienne. De plus, les Frères musulmans sont le mouvement, la matrice dont est issu le Hamas, à la tête de la bande de Gaza depuis cinq ans. Au regard de ces proximités historique, idéologique, politique, l’implication du gouvernement des « Frères » sur le conflit peut sembler en deçà de ce qu’elle pourrait être.

 

Selon Bernard Botiveau, du côté des peuples « le soutien à la cause palestinienne dans les pays arabes est authentique et profond, ça ne fait aucun doute. Mais la réalité c’est que sur le terrain, les Égyptiens par exemple sont aujourd’hui dans l’urgence de régler de lourds problèmes mis en lumière par la révolution : le chômage, les problèmes économiques, etc. Les gens restent mobilisés sur des enjeux internes, y compris pour s’assurer que leurs révolutions ne vont pas être confisquées par de nouveaux régimes autoritaires ». Dans ce contexte, la Palestine fait bien l’objet d’une « solidarité sincère et permanente » mais n’est pas « une priorité politique ».

 

De plus, les situations diffèrent. « En Tunisie, on est quand même loin du terrain de combat. Ce qui n’est pas du tout le cas avec l’Égypte, notamment à cause du Sinaï, par lequel transitent de nombreux trafics mais aussi le gaz livré à Israël. Ce territoire désertique est aujourd’hui un véritable enjeu : le nouveau gouvernement égyptien doit démontrer qu’il en a le contrôle. »

 

Une démonstration qui passe notamment par le maintien, aux frontières de Gaza d’un contrôle assez restrictif de la liberté de circulation. « Ils ont ouvert les portes, mais modérément. Certes, les Frères musulmans et le Hamas sont deux forces amies qui n’ont pas de différents politiques ; mais les premiers sont désormais à la tête de l’Égypte et donc obligés de prendre des mesures, au plan économique, sur la circulation aux frontières, etc. qui peuvent sembler contradictoires. C’est une situation ambivalente ; si Morsi s’est impliqué à fond dans la médiation à Gaza, c’est aussi pour montrer aux États-Unis qu’ils peuvent compter sur lui. »

 

Ce faisant, en jouant avec un certain succès le rôle de médiateur, le Président égyptien a contribué à restaurer un peu la place du Hamas dans le jeu régional où il apparaît désormais comme « un adversaire utile » capable de modérer les ardeurs du Jihad islamique, du FPLP ou des Comités populaires à Gaza.

 

La visite, le 23 octobre dernier, sur place de l’émir du Qatar et de son chéquier rembourré, participe également de cet autre « rehaussement ». Dernier paradoxe, sur la scène politique palestinienne, le Hamas – toujours officiellement considéré comme une organisation terroriste –, tire donc aujourd’hui plus de bénéfices, même s’ils restent minimes, de la nouvelle donne régionale que son rival du Fatah… Qui reste pourtant le « partenaire » privilégié des puissances occidentales qui, depuis deux ans, font mine de se féliciter et/ou d’accompagner les changements survenus dans le monde arabe.

Notes

[1] Bernard Botiveau est chercheur du CNRS à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et auteur, en 1999, de L’État palestinien (Presses de Sciences Po).

[2] Selon un document de la plateforme des ONG françaises pour la Palestine « Palestine, les chiffres-clefs », juillet 2012.

[3] Sur regards.fr, le 19 novembre : « A Gaza, Israël tue et joue avec le feu ».

 


http://www.regards.fr/e-mensuel/decembre-2012/gaza-et-la-nouvelle-donne,6056

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